Entretien avec Aurélien Bigo
Sans train, pas de voyage écologique ?
Aurélien Bigo vient de soutenir une thèse sur la transition énergétique dans les transports. Ingénieur en géologie puis diplômé d’un master en économie de l’environnement (EDDEE), sa thèse a été réalisée en partenariat avec la SNCF. Elle vise à approfondir les moyens pour atteindre l’objectif de neutralité carbone dans le secteur des transports en France d’ici 2050.
Trains bondés en zones métropolitaines, chers ou en retard, lignes et gares supprimées dans les campagnes, surendettement de la SNCF… La France a mal à son train ! Comment relancer le rail, recréer une offre de transports bas carbone, pratique et accessible à tous, où que l’on vive ? Aurélien Bigo nous décrypte ici les enjeux écologiques des transports et son point de vue sur le rôle que peut jouer le train dans la transition... et les usagers !
Un entretien en 11 questions :
00:30 - Le train est-il en soi une bonne réponse écologique pour transporter des personnes et des biens en France ?
04:17 - En 2017, la France adoptait une Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) afin de tenir ses engagements pour contenir le réchauffement climatique sous la barre des +2°C. Dans ce contexte, le secteur des transports doit viser la décarbonation quasi complète, et notamment pour les transports terrestres qui doivent sortir totalement du pétrole, alors que ce dernier représente plus de 90 % des consommations du secteur actuellement. Une telle transformation en 30 ans est un défi énorme. Globalement, quels sont les leviers clés à actionner pour les transports afin de réussir une transition écologique ?
RÉDUIRE LES ÉMISSIONS DE CO2 DANS LES TRANSPORTS : DÉVELOPPER DES STRATÉGIES DE SOBRIÉTÉ
Entre 1960 et 2017, en France, les émissions de CO2 liées à la mobilité des voyageurs (hors vols internationaux) ont été multipliées par 4,2, avec un pic au début des années 2000, suivi d’une légère diminution – en intégrant les vols internationaux, ces émissions demeure à peu près constantes.
TASSEMENT DES ÉMISSIONS : EXPLICATIONS
Comme le démontre Aurélien Bigo, si des progrès d’efficacité énergétique ont bien été réalisés sur la période 1960- 2017 (-37 % d’impact sur les émissions de CO2), complétés par une faible amélioration de l’intensité carbone de l’énergie (-10 % d’émissions par unité d’énergie consommée), ils ont été largement compensés par une évolution du mode de transport, qui s’est fait majoritairement vers les modes routiers sur le début de la période (+22 % d’impact sur les émissions de CO2) et par la baisse du taux de remplissage des voitures (+28 % d’impact sur les émissions de CO2). Et ce malgré l’engouement pour le covoiturage et les plateformes dédiées.Ensuite, à la hausse de la demande de transport, avec un nombre de kilomètres parcourus multiplié par 4,7 sur la période 1960-2017, ce nombre de kilomètres par personne a atteint un pic au début des années 2000. D’où un tassement global.
LES 3 AXES DES POLITIQUES PUBLIQUES
Quant aux politiques publiques elles ont avant tout favorisé les transports en commun, l’efficacité énergétique des véhicules et le développement des biocarburants, sans que les effets sur les émissions aient été très importants.Le scénario de la stratégie française (SNBC) prévoit entre 2015 et 2050 :
> une augmentation de la demande de transport de 26 %, du fait d’une hausse de la population et des kilomètres par personne (13 %) ;
> un report modal vers le train et le vélo, faisant baisser les émissions de 8 % ;
> un essor du covoiturage, qui permettrait de faire baisser les émissions de 11 % en améliorant le remplissage des voitures ;
> une forte amélioration de l’efficacité énergétique, les consommations par kilomètre diminuant de 68 %, grâce aux progrès sur les moteurs thermiques dans un premier temps, puis au développement de la voiture électrique ;
> enfin, une forte décarbonation de l’énergie (biocarburants, hydrogène, électrique…) utilisée, de 97 %, qui permet de ramener le facteur d’intensité carbone à un taux proche de 0 en 2050, essentiellement par le passage à l’électricité.
AGIR SUR LES MODES DE VIE ET DE TRANSPORT
L’essentiel de l’effort porte donc avant tout sur des “solutions technologiques”. Ce “solutionnisme” est contestable, même s’il faut agir sur tous les tableaux. Car environ la moitié du gisement en matière de carbone demeure celui de modérer la demande et changer les usages.Oui, ces (nouvelles) techniques font partie de la solution – à condition toutefois de les accompagner de décisions permettant de les rendre efficaces, comme la vitesse sur les routes ou le poids des véhicules. Mais agir mieux et davantage sur nos modes de transports, et donc sur nos modes de vie, d’activités et de travail, est primordial. Cela suppose de prévoir des aménagements territoriaux en matière de transport (commodité des transports collectifs, prix, plans de circulation douce, etc). Mais aussi de relocaliser diverses activités et emplois, pour réduire les besoins de déplacement et les distances.Les citoyens peuvent agir aux deux niveaux : individuel, dans leurs choix de consommation en matière de transport (réduire l’usage de la voiture, prioriser la marche, le vélo ou les transports en commun, choisir certains modèles de véhicules moins gourmands quand c’est possible, etc.). Mais aussi à l’échelle collective, en poussant à la construction d’une offre efficiente et accessible pour les modes actifs (marche et vélos) et les transports collectifs. Et plus globalement sur l’émergence de territoires plus résilients et dynamiques, notamment dans les espaces ruraux et périurbains.
V.T.
09:19 - Est-ce que depuis vingt ans le nombre de voyageurs augmente, est stable ou s’effrite ? Quelles sont les évolution des usages ferroviaires ?
12:08 - Alors qu’au XXème siècle le train était une fierté nationale, avec une qualité de services et un nombre de lignes remarquables, on a le sentiment d’assister à un déclin des services et des équipements depuis vingt ans, avec un endettement record (38 milliards d'euros), une baisse du nombre d’employés et une fermeture de lignes et de gares. Est-ce le cas ? Pour tous les usages ferroviaires ?
15:05 - Dans les zones rurales, on déplore moins de lignes, moins de trains, moins de gares, des remplacements de train par des bus, des absences de coordinations des horaires entre les différents bus ou trains (qui ne dépendent pas des mêmes institutions)… À quoi peut-on attribuer cette spirale infernale pour le quotidien des usagers en campagne ?
33:23 - Peut-on encore sauver le train dans les territoires ruraux ? Comment (re)construire une offre locale écologique de transport qui répond à des besoins professionnels et personnels ?
38:20 - Plusieurs régions ont apporté des aides pour développer l'usage des trains, sans toujours un succès. Et la SNCF considère que ces aides demeurent insuffisantes et que ces lignes ne sont pas rentables. Est-ce qu'effectivement, avec l'évolution des habitudes de transport où la voiture est reine – au moins en campagne –, le train dans les campagnes ne sera jamais rentable, et faut-il consentir à cet effort comme le maintien d'un service public ?
Dans ce dossier lourd du ferroviaire, le débat a toujours été confisqué entre le gouvernement, la direction de la SNCF et ses personnels. On voit néanmoins émerger une mobilisation d’usagers très inspirantes, afin de trouver des solutions concrètes pour sauver des lignes ou les remettre en fonctionnement. Par exemple, en Bretagne, c’est un groupement d’anciens cheminots, d’élus et d’associations qui œuvre pour relancer une jonction nord-sud dans la région arrêtée depuis 30 ans, malgré l’importance du service. Et dans le Lot, profitant de l’ouverture à la concurrence, le 30 novembre 2019 est née la première société coopérative d’intérêt collectif anonyme (SCIC SA) dédiée au train, Railcoop, pour devenir un véritable opérateur ferroviaire. L’objectif ? Rouvrir des lignes locales, des trains de fret et de nuit dès 2022 dans tout le pays, grâce à un service de proximité et de qualité, à l’aide d’un financement citoyen, d’entreprises et de collectivités. Railcoop compte déjà plus de 2040 sociétaires, et vise d’en mobiliser mille de plus afin de lever 1,5 millions d’euros nécessaire pour obtenir sa licence d’entreprise ferroviaire. Est-ce que les usagers peuvent vraiment jouer un rôle clé dans le renouveau du train ?
Travaux sur le réseau ferré, relance des trains de nuit et du fret ferroviaire, (ré)ouverture de lignes... Après des aides massives, sans véritables contreparties, à deux secteurs de transports polluants (l’avion et l’automobile), le gouvernement annonce de son côté la “reconquête ferroviaire”. Quels sont les moyens financiers et humains mobilisés par l’entreprise, l'État et les collectivités locales pour cela ? Est-ce un plan de plus ou un vrai projet ?
Est-ce que certains pays d’Europe ont réussi cette reconquête du train et de quelles manière ?
42:23 - Sur le fret par le train, justement, dont le volume n’a cessé de décroître, l’objectif affiché par le gouvernement est de doubler la part du ferroviaire de 9 % (contre 45 % en 1974) à 18 % du transport intérieur de marchandises en France d’ici à 2030. Ce qui est la moyenne aujourd’hui dans l’Union européenne. Il annonce pour cela la création d’une alliance publique/privée, baptisée « 4 F », dotée de plus de 16 milliards d’euros. Pensez-vous que ce dispositif va vraiment sauver le fret par le rail et avoir un réel impact en matière de bilan carbone ?
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Présentation de la thèse d'Aurélien Bigo en 180 secondes (vidéo)
Thèse d'Aurélien Bigo : Comment décarboner les transports d’ici 2050 ?
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