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Neutralité carbone atomique : la grande fuite en avant !


« Nous allons, pour la première fois depuis des décennies, relancer la construction de réacteurs nucléaires dans notre pays ! » a martelé le président Macron dans son allocution télévisée ce 9 novembre. Une première depuis quatorze ans, date de la mise en chantier de l’EPR de Flamanville… toujours inachevé !  Une relance « pour garantir l’indépendance énergétique de la France, pour garantir l’approvisionnement électrique de notre pays et atteindre nos objectifs [climatiques], en particulier la neutralité carbone en 2050 », a-t-il assuré. Est-ce un nouveau virage atomique pour la France, après la perspective esquissée lors du quinquennat précédent d'instaurer un mix énergétique ? 

Au-delà, peut-on atteindre la neutralité carbone, c’est-à-dire ne plus émettre de gaz à effet de serre, sans atome ? Nous, nous croyons que c’est possible en changeant notre modèle de croissance. Deux rapports d’experts relancent ce débat brûlant à l’heure de la COP26, qui s’achève cette semaine à Glasgow (Écosse). Brûlant pour le climat… mais aussi pour les élections du printemps prochain en France !  On vous explique pourquoi.


Pour avoir une chance de rester sous la barre des +1,5 °C – l’objectif d’augmentation des température moyenne et planétaire pris à la COP21 à Paris il y a six ans –, le monde doit cesser illico de construire et financer de nouveaux projets dans le charbon, mais aussi dans le pétrole et le gaz. Or, ces énergies fossiles représentent 80 % de la consommation énergétiques mondiale, générant les trois quarts du dérèglement climatique. Et elle bénéficient toujours de soutiens publics et privés massifs...

Les options mises sur la table

L'annonce du président Macron fait suite, en vérité, à une vaste étude prospective intitulée « Futurs énergétiques 2050 », que le gestionnaire national du Réseau de transport d’électricité (RTE), propriété d’EDF notamment, a publié le 25 octobre dernier. En 600 pages, elle propose six scénarios afin d'atteindre la neutralité carbone d’ici trente ans, et lutter ainsi contre le dérèglement climatique. Les diverses trajectoires vont d’une option « 100 % d’énergies renouvelables » à un scénario comprenant 50 % de nucléaire. À sa lecture, on comprend que les scénarios plébiscités par RTE sont ceux qui relancent la filière nucléaire... 

Le 27 octobre, Emmanuel Macron a assuré vouloir faire émerger des réacteurs nucléaires innovants de petite taille (SMR, pour « small modular reactor »), d’une puissance allant de 25 à 500 mégawatts (MW), contre 1,600 MW pour l’EPR développé par EDF. Small would be beautifull ? Assurément, prétend Macron, qui juge ces petits réacteurs « beaucoup plus modulaires et beaucoup plus sûrs ». On demande à voir ! Dans la foulée, et avant Noël, le chef de l’État pourrait annoncer, selon Le Figaro, la construction de six nouveaux EPR-2. Avec 1 milliard d'euros de crédit pour lancer ce chantier des SMR – destinés avant tout à l'exportation ? Alors qu’en 2019 en France, 70,6 % de la production électrique provenaient du nucléaire, contre 2,2 % par le solaire et 6,3 % de l’éolien, cette relance signifie, en fait, mettre tous ses œufs énergétiques dans le même panier, malgré une promesse vague, faite également mardi soir par le président Macron, de « développer les énergies renouvelables »

Voilà ce que nous appelons une funeste fuite en avant ! Oh, Macron n’est pas seul à s’engouffrer dans ce « solutionnisme atomique » pour répondre aux dérèglements climatiques, plutôt que de repenser l’ensemble de notre stratégie énergétique et notre modèle de croissance. Toute les droites et une partie de la gauche (socialiste et communiste) continuent à défendre le maintien ou l’extension des centrales nucléaires. Seuls, les écologistes et la France Insoumise entendent s’attaquer à un double défi : sortir du nucléaire, en raison des déchets radioactifs qu’elle génère et des risques d’accidents, tout en supprimant les énergie fossiles (hydrocarbures) et en décarbonant l’ensemble de notre développement énergétique, industriel, agri-alimentaire, des transports et du logement.

L’association négaWatt, qui défend de longue date la sobriété énergétique, des modes de vie et de production, propose de relever ce double défi dans son 5ème scénario de transition énergétique, dévoilé le 19 octobre dernier. Elle fait une hypothèse de consommation à l’horizon 2050 de 530 térawhattheures (TWh). Le tout en se passant de l’atome : « Sans démarrer l’EPR - échec industriel majeur - ni construire de nouveaux réacteurs nucléaires, et en fermant les anciens entre leurs 40ème et 50ème années d’exploitation ». Et tout cela, « en assurant la sécurité d’approvisionnement via le stockage et le pilotage des flexibilités [adaptation des productions des divers types d’énergie à l’évolution de la demande en temps réel, ndlr] ».

Grâce à leur scénario, les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont divisées par 9 entre 2019 et 2050. Globalement, il permet d’atteindre « la neutralité carbone en 2050 ainsi qu’un mix énergétique à 96 % renouvelable*, tout en réduisant fortement l’extraction de matières premières dans la croûte terrestre. Il est également compatible avec l’objectif de -55 % de gaz à effet de serre fixé au niveau européen à l’horizon 2030. »

Le premier levier à actionner : la sobriété

Il est intéressant de noter que l’hypothèse de consommation de négaWatt (530 TWh) est proche du scénario « sobre » de RTE (554 TWh). Au-delà, c’est un véritable changement de trajectoire pour notre société que nous invite à faire l’association. 

L’une des clés pour relever ce double défi écologique passe par la sobriété présentée, ici, comme une source d’amélioration de la qualité de vie en France. Un éclairage nouveau fort bienvenu ! Ces changements de nos modes de vie ainsi que des procédés de production, de déplacement et de construction, passent, notamment, par :

- Rendre la mobilité plus accessible et moins polluante, réduire nos déplacements quand ils ne sont pas nécessaires, et les pratiquer en transports en commun, vélos ou en covoiturage le plus souvent possible.

- Réduire sérieusement nos consommations numériques – et adopter les outils libres !

- Choisir les aliments de saison, en circuits courts et prioriser la bio (sans intrants chimiques, coûteux pour la santé et l’environnement, mais aussi très énergivores).

- Isoler et améliorer la qualité des logements, et dès lors réduire le thermostat et l’usage des climatiseurs – 5,6 millions de ménages vivent dans des "passoires thermiques" et/ou n'ont pas les moyens se chauffer correctement, selon la Fondation Abbé Pierre !

- Moins et mieux consommer en diminuant nos déchets et gaspillages, nos consommations de biens manufacturés de façon générale, et en priorisant les échanges et les produits réparables, recyclés et reconditionnés.

Cette frugalité du scénario négaWatt tranche singulièrement avec les trajectoires de l’étude de RTE qui prévoient, toutes, une croissance des consommations énergétiques, et notamment de l’électricité (de +36 % à +58 % à l’horizon 2050 par rapport à la moyenne de la décennie 2010).

Pas de sobriété réussie sans solidarité

Tous ces changements de modes de consommation et de vie ne conduisent pas à un retour à la bougie ou à une vie inconfortable, ni à rendre impossible la satisfaction de nos besoins essentiels. Pour autant, soyons honnête : ils peuvent s’avérer, en partie, difficile à réaliser dans certains territoires, pour certaines filières et entreprises, et selon les situations économiques et familiales. C’est le cas, par exemple, pour celles et ceux qui habitent des endroits isolés, sans infrastructures collectives comme des transports en commun, ou sans producteurs bio en circuits courts, mais aussi pour des familles nombreuses ou en grande précarité. Ces mutations doivent alors s’adapter aux réalités sociales et aux territoires. Mieux, être co-construites partout et dans tous les domaines avec les citoyens à l’échelle de leurs bassins de vie. Et cela par un réel processus démocratique, en coopération et dans une attention solidaire. Car sinon, ces nécessaires mutations de nos modes de vie et de productions peuvent signifier un renforcement insupportable des inégalités sociales – créant de fait une écologie punitive pour les plus précaires.

On le voit, à rebours des injonctions à produire et consommer toujours davantage, au mépris des limites planétaires, le scénario négaWatt trace un chemin d’espérance pour réduire les effets du dérèglement climatique tout en améliorant la vie en société.

En outre, il présente un bénéfice important pour l’emploi, jusqu’ici agité par les chantres de la poursuite du nucléaire : ce scénario énergétique décentralisé et renouvelable permettrait, en effet, assure négaWatt, « la création d’au moins 500 000 emplois d’ici une dizaine d’années dans les métiers de la transition énergétique, à condition de la démarrer dès à présent ! »

Décarboner notre énergie… sans l’atome : possible ?

La trajectoire d’une décarbonation doublée d’un abandon du nucléaire a également été explorée par RTE. Sans beaucoup de conviction. Avec ce scénario « 100 % renouvelables », l’ardoise promet d’être salée, prévient le distributeur. D’abord parce que ce scénario suppose une croissance des renouvelables bien supérieure à celle observée en France au cours des dix dernières années… Faute aux retards d’investissement dans ce domaine, dûs largement aux opérateurs de l’énergie et aux gouvernements successifs ! En effet, notre pays devrait mettre en œuvre, dans un tel scénario, entre 25 000 et 35 000 éoliennes en 2050 – bon, à titre de comparaison, l’Allemagne en compte 30 000 aujourd’hui sur un territoire moins grand, alors… – et les panneaux solaires devraient couvrir entre 0,1 et 0,3 % du pays. Rien d’inaccessible ou d'inacceptable, a priori. Pour peu que l'on opte pour des parcs de tailles moins industrielles, au service d'un approvisionnement direct d'ensembles d'habitats locaux...

Chantier de l'EPR de Flamanville (Cyprien Preziosi, licence CC-BY 3.0)

Mais le calcul des coûts de RTE ne s’arrête pas là. Les dépenses à prévoir devront couvrir les besoins de flexibilité entre énergies (stockage, pilotage de la demande, construction de nouvelles centrales d’appoint...). Or, plus il y aura d’éoliennes et de panneaux solaires, plus les besoins en flexibilité se feront sentir pour pallier l’intermittence et la variabilité de ces énergies, insiste RTE. À l’inverse, assure le distributeur, les scénarios faisant plus de place au nucléaire afficheraient le coût complet le plus bas. CQFD ? Sans doute. Maintenant, si l’on intègre les coûts de démantèlement des vieilles centrales, des nouveaux EPR, et surtout de gestion des déchets, la comparaison entre les scénarios énergétiques vire-t-elle toujours à l’avantage de l’atome ? Rien n'est moins sûr ! 

Rappelons que l'EPR de Flamanville connaît un surcoût de 17 milliards d'euros et une décennie de retard... Selon le site Contexte, il faudrait compter, au bas mots, pas moins de 52 milliards d’euros pour construire six nouveaux réacteurs dont la première paire pourrait être mise en service « au plus tôt à l’horizon 2040 ». « Nous sommes prêts ! », a assuré, le 10 novembre, Jean-Bernard Lévy, le Pdg d'EDF, en précisant qu'il ne s'agirait pas tant de créer de nouveaux sites, plutôt d'ouvrir de nouvelles centrales de nouvelle génération (EPR2) sur les sites de centrales vieillissantes : d'abord à Penly (Seine-Maritime), près de Dieppe, puis à Gravelines (Nord) et enfin à Bugey (Ain) ou bien Tricastin (Drôme).

Cinq sur les six scénarios RTE de décarbonation attribuent, ainsi, une part encore consistante au nucléaire – de plus d’un quart de la production électrique en 2050 dans trois d’entre eux. Leur scénario le plus nucléarisé – celui du futur candidat Macron ? – prévoit, lui, la mise en service, d’ici à 2050, de quatorze réacteurs de grande puissance (dits EPR2) et d’une vingtaine de petits réacteurs modulaires (SMR), ainsi que la prolongation de la durée de vie de réacteurs actuels au-delà de soixante ans. Or, même dans cette hypothèse fortement atomique, le nucléaire n’assurerait que 50 % du mix électrique (contre 67 % en 2020). Le reste serait fourni par 70 gigawatts (GW) de capacités installées de photovoltaïque (contre 10 GW aujourd’hui), 43 GW d’éolien terrestre (contre 17 GW) et 22 GW d’éolien en mer (inexistant à ce jour).

Une énergie renouvelable par et pour les territoires

Au-delà des choix industriels, politiques et sociétaux sur l’atome et sur les renouvelables, les deux études convergent sur un point crucial : il est temps d’engager dans ce domaine, comme dans d’autres d’ailleurs, une nouvelle étape de la décentralisation. Car « les gisements de sobriété, d’efficacité et d’énergies renouvelables, rappelle négaWatt, sont par nature décentralisés, de même que les emplois qui permettent de les mobiliser. En donnant plus de moyens réglementaires, humains et financiers aux collectivités locales, on leur offre la perspective d’un développement écologiquement performant et socialement juste de leurs territoires. »

Pour les énergies renouvelables, l’avenir passe ainsi, en partie, par le développement d’offres et de solutions énergétiques à usages locaux et domestiques, alors que le couplage des productions renouvelables individuelles et collectives aux seuls réseaux nationaux entraînent à la fois des pertes en ligne importantes et un manque de souplesse et de liberté d’organisation nécessaires à cette relocalisation du développement des territoires. Cette approche est développée par plusieurs mouvements citoyens en France : 256 projets citoyens d'énergies renouvelables sont déjà labellisés par le réseau Énergie partagée, lesquels tournent le dos aux parcs solaires ou éoliens industriels, qui fédèrent les craintes et les oppositions des riverains.

Inauguration du parc éolien citoyen des Grands Fresnes, dans le Maine-et-Loire (crédit : Énergie Partagée)

RTE assure, de son côté, que l’on peut réindustrialiser la France sans renoncer à nos engagements climatiques. Et ce grâce à une relocalisation et transformation des productions aujourd’hui émettrices de dioxyde de carbone à l’étranger. En fonction, précisons le, des choix de processus, de filières, de matériaux et d’usages effectués.

Des marges de progrès énergétique

Trois autres leviers pour réussir ces défis écologiques sont actionnables. D’abord, améliorer les performances énergétiques de tous les procédés de production de biens et de services. Ce qui passe par optimiser les ressources (écoconception, réparabilité, recyclage, matières biosourcées, etc.) des biens manufacturés. Ensuite, accroître les performances des énergies renouvelables elles-mêmes. Car, paradoxalement, leur bilan carbone n’est pas encore totalement neutre, note RTE : en tenant compte de l’ensemble de leur cycle de vie, elles émettent un peu plus de 10 millions de tonnes équivalent CO2 par an. Dernier levier, plus hypothétique, celui de maîtriser la production industrielle de nouveaux procédés d’énergie propres et renouvelables, tel l’hydrogène pour les voitures ou les avions. Des biogaz nouveaux aussi, à base d’algues. Les prochaines énergies « vertes »...

Si les sciences et les technologies doivent se mettre au service de la transition écologique et font partie de notre boîte à outils, ne nous illusionnons pas : nous ne résoudrons pas cette crise climatique planétaire par un « solutionnisme technologique » ou atomique, sans revoir notre modèle de consommation et de production.

Voilà, très simplifiés, les enjeux énergétiques pour un monde plus sûr au niveau climatique et social. Il reste peu de temps pour faire nos choix entre tous ces scénarios, si l’on veut pouvoir encore sauver le climat terrestre. Mettons les alors en débat partout dans nos territoires, sans attendre les décisions des puissants de ce monde réunis à Glasgow pour la COP26, ni celles du/ de la prochain.e président.e français.e qui sortira des urnes au printemps prochain ! « N'ayons pas peur, il  faut avoir confiance en nous-même », a plaidé le 9 au soir le président Macron. Nous sommes d'accord sur ce point avec lui : ayons confiance en notre puissance collective, en notre créativité et notre talent, pour inventer, demain, un paysage énergétique au service d'une société plus solidaire et plus durable. Plus désirable, en somme...


Aller + loin

- Le grand FLOP26 !, notre tribune bilan de la COP26.

- "COP26 : Comment éviter le grand dérapage du climat ?", notre article sur les enjeux de la COP26.

Sur la Boutique des colibris :

- Les Limites à la croissance, de Dennis Meadows, Donella Meadows, et Jorgen Randers.

- Comment les économistes réchauffent la planète, de Antonin Pottier.

Une pétition en ligne proposée par de l'Observatoire du nucléaire s'oppose "à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en France"


Les photos qui illustrent cet article sont libres d'utilisation.


* Les 4 % d’énergies fossiles restantes sont uniquement destinés aux usages de matières premières ; les usages énergétiques sont, eux, couverts à 100 % par des sources renouvelables.

Commentaires

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Dommage une fois de plus que ce type d'article partisan ne donne pas la réalité de le situation.
Mais bon l'important est toujours de se comparer à l'Allemagne (qui soit dit en passant émet 10 fois plus de CO2 que la France... mais il ont beaucoup d'ENR alors, ca va !) et de critiquer l'investissement dans le renouvelable en France (c'est vite oublier les 120 Md d'euros dépensés pour ce mode de production ces dernière années, pour un piètre résultat).

Attention :) à trop remettre en cause les solutions, nous n'arriverons jamais à rien.

Le nucléaire est une absolue nécessité si l'on parle strictement carbone.

La sobriété ?
Oui totalement, mais soyons sérieux, la france ne va pas baisser sa consommation électrique drastiquement en 20 ans.

Vous parlez coûts de construction et de démantelement des centrales nucléaires, discours à charge s'il en est étant donné que rien n'est mentionné pour les autres modes type ENR, qui ne poussent pas par magie et n'ont pas une durée de vie longue. Sans compter les centrales à gaz ou autre qu'il faut construire pour prendre le relai quand il n'y a pas de vent ou de soleil.

Bref, à trop vouloir rêver une solution, vous prenez le risque de devenir acteur de l'immobilisme :)