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Et si on se prenait au jeu ?

Si le jeu est encouragé chez les enfants car il facilite les apprentissages, les adultes en sont également friands. Dans un monde où tout va trop vite et où rentabilité et productivité sont au cœur des activités, les jeux de société font de la résistance et s’affichent fièrement comme une parenthèse de repos, de créativité et de découverte de soi et des autres.


L’enfance est l’ère du jeu. L’enfant joue tout le temps : au marchand, au docteur, à faire la cuisine… Le jeu permet l’expérimentation ; il facilite les apprentissages sensoriels, intellectuels et relationnels. "Le jeu est le langage qui permet d'entrer dans le monde de l'enfant, explique Isabelle Filliozat. Les adultes ont tendance à trop parler et expliquer en oubliant que l'enfant n'a pas encore un cerveau suffisamment développé sur le plan verbal. Au travers du jeu, nous pouvons entendre ce qu'il a à dire et lui faire passer toutes sortes de messages". À la différence du jouet avec lequel l’enfant fait ce qu’il veut, le jeu avec ses règles développe une forme de structuration, en particulier dans une approche bienveillante. Pour les petits (0-6 ans), c’est même devenu une démarche en soi, s’inscrivant dans la théorie de l'attachement : la parentalité ludique. Elle s'est fait connaître en France avec la parution, en 2013, du livre Qui veut jouer avec moi ? (JC Lattès), de Lawrence Cohen, spécialiste des thérapies familiales par le jeu. Elle y montre à quel point le jeu peut aider les parents à résoudre toutes les difficultés du quotidien et le transformer : "Assumer son rôle de parent sur un mode ludique permet d'entrer dans le monde de l'enfant, sans le brusquer, en développant sa confiance en lui et en nous".

Coralie et sa famille (crédit : Patrick Lazic)

Lawrence Cohen recommande aux parents d'accorder un temps totalement dédié à l'enfant, lieu d'une connexion profonde. "Ces temps nourrissent profondément l’enfant et lui donnent une solidité qu'il aura à l'intérieur de lui pour toute sa vie. Consacrer ne serait-ce que 5 à 10 minutes par jour au jeu, et les disputes diminuent au moins de deux tiers", assure Isabelle Filliozat. Ce que confirme Coralie, maman d'Éléa, 7 ans, et de Kélian, 5 ans : "Le soir, en rentrant de l’école, du travail, ça nous permet de créer une bulle apaisée avant ou après le moment du repas. C’est un moment privilégié où nous sommes sur un pied d’égalité".

Qui joue à quoi ?

"Pour que le jeu joue son rôle de facilitateur d’interaction et de développement de la personnalité, je préconise de laisser jouer les enfants entre eux, notamment après 6 ans", conseille Maxime Rambourg, créateur du café associatif La Feinte de l’ours, à Nancy. "Souvent, des parents arrivent en me disant « Mon enfant n’aime pas perdre, il est capricieux » et, lorsque les parents laissent jouer les enfants entre eux, je remarque assez peu d’énervement ou de colère". Quant au choix du jeu, la question est vaste. Tout dépend des appétences de chacun : jeux tactiques, de réflexes, d’adresse, de mémoire, de hasard… La palette est aussi variée que celles des "je". Cependant, pour qu’un jeu soit considéré comme bon, ce n’est pas simplement affaire de préférences. Il existe des critères qui doivent être pris en considération. Quelques-uns sont évoqués par l’auteur de jeux de société allemand Wolfgang Kramer dans un article paru dans The Games Journal en 2000 : l’originalité, la surprise, des chances égales de gagner, pas d’élimination prématurée, le graphisme ou la "rejouabilité" – plus un jeu donnera envie aux joueurs de rejouer, plus il sera bon. C’est dans cette approche que sont apparus les "jeux d’auteurs" en France il y a une vingtaine d’années. "Un bon critère !, selon Maxime Rambourg. Les jeux que l’on trouve en grande distribution, pour beaucoup, c’est comme regarder la télé, ce n’est pas jouer ! Un jeu avec le nom de l’auteur sur la boîte est un gage de qualité. Bien plus que l’indication « jeu pédagogique », car tous les jeux de société le sont".  Vous pouvez également regarder chaque année le palmarès "As d’Or - Jeu de l’année" du Festival International des Jeux de Cannes ou vous rendre au Festival Ludique International de Parthenay. Des indicateurs valables pour les enfants, comme pour les adultes.

Éléa 7 ans, et  Kélian, 5 ans (crédit : Patrick Lazic)

Un vecteur de lien social

"Comme les enfants, les adultes devraient jouer tout le temps", nous déculpabilise Maxime Rambourg. "À partir du moment où on entre à l’école, il y a une barrière qui se forme, car on joue alors pour se divertir, et plus pour apprendre. D’un coup, on n’est plus productif aux yeux de la société". Pourtant, selon le sondage Opinionway (En)jeux de société #2 *, 64 % des Français de plus de 18 ans affirment que jouer est "une activité essentielle" et les vertus du jeu chez l’adulte sont nombreuses. "Même si je n’aime pas utiliser le jeu comme outil, c’est l’un des meilleurs outils de lien social", indique Maxime. Pour preuve ? La pléthore de cafés jeux, soirées jeux, cafés ludiques… qui accueillent des joueurs débutants ou avertis désireux de sortir de chez eux pour partager cette activité. C’est tout l’objet des soirées Ludiney, organisées un samedi soir par mois au café littéraire associatif Le Petit Ney, situé dans le 18e arrondissement de Paris, en partenariat avec l’association Ludollectif. Créée en 2012 par un groupe d’amis joueurs, cette dernière a pour simple objet de "faire jouer et se retrouver", précise son secrétaire, Régis Grateau. Et ça marche ! Au Petit Ney, les soirées jeux réunissent en général entre 15 et 45 personnes venues de tous horizons : des habitants du quartier, des membres du Ludollectif, des novices de passage et des joueurs chevronnés venant de tout Paris et de sa banlieue. Contre 1 euro symbolique permettant de louer des jeux à la ludothèque du quartier, les participants peuvent découvrir la trentaine de jeux de société proposés, pour tous les niveaux et toutes les envies. Des animateurs sont présents pour conseiller quel jeu choisir selon les envies, pour créer des tablées de joueurs selon les affinités et aussi pour expliquer les règles. Ici, l’entre-soi n’est pas de mise, et le jeu y est bien pour quelque chose. Pour Luc Colas, médiateur culturel chargé du jeu au Petit Ney, le jeu n’est pas une fin en soi, mais un "outil pour tisser du lien social, lutter contre l’isolement et développer certaines valeurs". Pari gagné, notamment avec les jeunes du foyer Relais 18 Hébergement qui, depuis septembre 2016, à leur demande, participent aux soirées Ludiney. Une ouverture sur les autres et sur le monde pour ces jeunes en difficulté, autant que pour les habitués du Petit Ney. Ce que corrobore d’ailleurs Catherine Dumonteil-Kremer en introduction de son livre Jouons ensemble… autrement (La Plage, 2007) : "Si la vie était une vinaigrette, le jeu en serait probablement la moutarde, c’est un puissant liant !"

Café associatif "La Feinte de l’ours", à Nancy

Un espace de discussion et de transformation

S’il est bien un endroit où tout est permis – ou presque –, c’est l’espace virtuel du jeu ; et ce notamment car il met tout le monde au même niveau : "Autour de la table, on a tous les mêmes contraintes, et donc les mêmes chances. À ma connaissance, on ne retrouve ce phénomène nulle part ailleurs. On est sur un pied d’égalité, donc on peut se permettre plus de choses et ça peut être révélateur dans certains cas", explique Maxime Rambourg. "Cette spécificité du jeu peut être utile pour les entreprises dans le cadre d’un « team building »**. La hiérarchie n’existe plus, ce qui permet des interactions entre patrons et employés qui n’auraient pas lieu dans la vie courante. J’ai vu des employés se moquer de leur patron lors d’un jeu, et cela a renforcé leurs liens, sans que personne ne soit vexé. Le jeu peut être une catharsis."

Pour le créateur de La Feinte de l’ours, le jeu est aussi le terrain idéal pour communiquer des messages en douceur : "Autour du plateau, c’est l’occasion de parler de certains comportements ou réactions. C’est plus facile que dans la vie normale." Parfois même, pas besoin de se parler. C’est ce qu’a pu observer Luc Colas au Petit Ney : "Même si on ne discute pas beaucoup pendant un jeu, mine de rien, des relations s’établissent, des choses se disent". Olivier, membre du Ludollectif, est un aficionado des soirées jeux au Petit Ney avec son amie Charline. Il admet que "les jeux en général [l]’ont transformé" et que certains aspects stratégiques sont transposables dans la vraie vie. Seul problème, selon Charline : "On n’aime pas les mêmes jeux". Leur terrain d’entente, ils l’ont trouvé dans les jeux coopératifs, les "préférés" de la jeune femme. "On discute, on réfléchit ensemble. C’est très positif !" Même son de cloche du côté de Guillaume Lenoble, créateur de Belugames.com, site de référencement et de vente de jeux coopératifs : "Avec ma femme, quand on jouait ensemble, on n’était pas sur la même longueur d’onde et on se disputait souvent. Quand nous avons découvert les jeux coopératifs, on a retrouvé le plaisir de jouer. Je me souviens qu’on a passé dix soirées de suite tous les deux à jouer à Hanabi [lire l'encadré ci-dessous] pour faire le meilleur feu d’artifice !" Car, comme le souligne Régis Grateau, pour que le plaisir et la joie soient bien là, il ne faut pas perdre de vue "qu’il n’y a pas d’enjeu dans le jeu !"

Les jeux coopératifs

"Comme le fait remarquer Pierre Rabhi, notre société est basée sur une approche compétitive au détriment de l’approche coopérative. Et peu de leviers sont mis en place pour favoriser la coopération. Typiquement, avec mes enfants, je jouais à qui va arriver le premier, en toute occasion, créant frustration et énervement", admet Guillaume Lenoble. Cette famille, comme d’autres, se retrouvait confrontée aussi au problème du choix du jeu : trop complexe pour le plus jeune, trop simple pour l’aîné.... Fort de ce constat, Guillaume Lenoble a créé Belugames, une société de jeux coopératif. Le jeu collaboratif permet à chacun de contribuer à hauteur de ses compétences. On apprend à gagner ou à perdre collectivement : un premier pas vers plus de solidarité dans la société ? Peut-être. Mais, selon Maxime Rambourg, le jeu coopératif n’est pas non plus la solution miracle : "Il y a deux écueils : le fait qu’un joueur d’une équipe puisse se positionner en chef et jouer à la place des autres. Et le fait de jouer contre le jeu. Comme dans la vie, on peut échapper à ces écueils, s’il y a une bonne communication pendant et après la partie."
Autre spécificité de la coopération : si tous les joueurs sont d'accord pour enfreindre ou modifier une règle, cela est possible. "Éléa propose parfois des aménagements de la règle tellement énormes que nous partons tous en fou rire et, en même temps, du haut de ses 5 ans, elle développe des stratégies incroyables pour faire tourner le jeu à l'avantage de l'équipe", s'amuse Coralie, sa maman.
Alors, le jeu coopératif, un bon choix ? Au dernier Festival International des Jeux de Cannes, deux des trois jeux récompensés d’un As d’or étaient des jeux coopératifs.

10 jeux coopératifs à offrir ou à se faire offrir

Mysterium (Libellud, 2015, à partir de 10 ans) : As d'or-Jeu de l'année 2016

Dans ce jeu d’enquête coopératif, tous les joueurs – qui sont soit fantôme soit médium – œuvrent dans un même dessein : découvrir la vérité sur la mort du fantôme qui hante le manoir et lui apporter la paix ! Les joueurs fantômes aident les joueurs médiums à progresser dans leur enquête.


Codenames (Iello, 2016, à partir de 12 ans) : coup de cœur 2016 des joueurs du Petit Ney !

Ce jeu compétitif peut être joué en mode coopératif si les joueurs décident d’affronter un adversaire imaginaire. À travers des associations d’idées, vous devez trouver sous quel nom de code se cachent les Informateurs, tout en évitant de tomber sur le terrible assassin !


Pandémie (Filosofia, 2008, à partir de 14 ans)

Toute l’équipe parcourt le monde afin de lutter contre quatre maladies mortelles. Le temps presse, car la propagation s’accélère ! Trouverez-vous les remèdes à temps ?


Conan (Monolith, 2015, à partir de 14 ans)

Ce jeu à l’esprit graphique proche de celui des comics a été réalisé par des artistes et respecte au maximum l’esprit de l’œuvre de Robert E. Howard. Il est semi-coopératif, c’est-à-dire que plusieurs joueurs en affrontent un seul. Vous pourrez jouer différentes scènes, un peu à la manière d’un jeu de rôle. Son prix est un peu élevé (presque 90 €), mais les amateurs du Petit Ney affirment que le jeu en vaut la chandelle…


Le Bal masqué des coccinelles (Selecta, 2001, à partir de 4 ans)

Les coccinelles doivent se déguiser pour parvenir au bal avant les fourmis. Pour ce faire, elles se parent de cinq couleurs différentes sur le dos. Ce jeu récompensé par le prix allemand du Jeu pour enfant de l'année 2002 est accessible dès 4 ans et constitue une introduction intéressante aux jeux coopératifs.


Sauve moutons (Bioviva, 2015, à partir de 5 ans)

Amener un maximum de moutons jusqu'à la cabane avant que le loup ne les mange est l'objectif de ce jeu en trois dimensions. Le plateau est une montagne de trois étages sur laquelle évoluent le troupeau, le loup et le berger.


Rory’s Story Cubes (The Creativity Hub, 2011, à partir de 6 ans)

Lancez les neuf dés – dont les facettes sont des images – et inventez une histoire. « Il était une fois... » C'est simplissime, mais efficace pour activer l'imagination des petits comme des grands.


Hanabi (Cocktail Games et Les XII Singes, 2011, à partir de 8 ans)

Concevoir un feu d'artifice sans voir les cartes de son jeu, juste à partir des indications données par les autres joueurs, voici le défi à relever.


Aya (Act in Games, 2015, à partir de 8 ans)

Les joueurs montent une expédition photo dans différents milieux naturels – désert, forêt, montagne, etc. – à l'aide de dominos qui devront tomber en cascade. Afin de collecter le plus de points possible, il va falloir être rapide et… collaborer !


Le Désert interdit (Cocktail Games et Gamewright, 2013, à partir de 10 ans)

Pour sortir de la cité ensablée, il faut s’unir pour retrouver toutes les pièces de la machine volante et surveiller les réserves d'eau, car la déshydratation guette les protagonistes dans ce désert balayé par les tempêtes de sable.




Pascal Greboval et Diane Routex / Magazine Kaizen



* Sondage Opinionway (En)jeux de société #2, septembre 2014

** L’objectif de la "construction d’équipe", concept né dans les années 1980, est de resserrer les liens et la cohérence entre les membres d’une équipe.


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