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Un autre numérique est possible !

Aurore du Roy, chargé de développement de l'Université des colibris

Le numérique fait partie de notre vie et la facilite souvent. Cependant, nous nous trouvons souvent face à des pratiques contraires à nos valeurs : marchandisation, collecte et utilisation de nos données personnelles, publicité, concentration des pouvoirs, uniformisation… Heureusement, il existe des alternatives libres, éthiques, décentralisées, coopératives et solidaires ! 

Depuis 2016, Colibris a développé des outils libres et un parcours en ligne pour les découvrir et se les approprier. Florian Schmitt a co-créé le logiciel libre YesWiki et développé les outils libres Colibris. Aurore Du Roy est en charge du développement de l'Université des colibris. Tous les deux nous guident dans l'aventure d'un numérique alternatif, qui peut être celle de chaque colibri...

Aurore est allée jusqu'à Moscou, où habite Florian, pour lui poser quelques questions sur les logiciels libres...

- Aurore: Colibris lance des outils libres. Peux-tu nous raconter la genèse de ce projet, Florian ?

Ça faisait un petit moment qu'il y avait du fricotage entre écologistes libristes et libristes écolos (mais chut, c'est secret). En tout cas, ces dernières années, les associations Colibris et Framasoft se sont croisées à l'occasion de diverses rencontres autour de la coopération. Le courant est tout de suite bien passé, et l'idée a émergé que Colibris propose des services libres décentralisés, pour mettre ses outils en cohérence avec ses valeurs. Au même moment, le projet Chatons de Framasoft se lançait, qui proposait à des structures d’héberger leurs propres outils libres. Bon alignement des étoiles... J'ai donc rejoint l'équipe de Colibris où j'ai pu mettre en place une plateforme gratuite de solutions libres et respectueuses de la vie privée, en collaboration avec Framasoft et certains informaticiens bénévoles pour Colibris.

Florian Schmitt pendant une table de découverte d'outils libres aux rencontres Moustic.

- Quels services libres proposent donc ces outils ?

En terme de services libres, il y a :    

  • des pads pour écrire des documents à plusieurs simultanément - alternative aux google doc ;    
  • un outil pour faire des visio-conférences en petit groupe - alternative à skype ; 
  •  un outil de prise de décision, pour choisir une date ou réaliser un sondage personnalisé : chacun donne son avis et le choix le plus populaire est mis en avant - alternative aux doodle ;    
  • un outil de tchat en équipe, pour éviter l'abondance de mails : on centralise les informations dans un salon de tchat, avec la possibilité de créer des canaux sur des sujets spécifiques - alternative à slack ;
  •  une Ferme à Wiki, où chacun peut créer un site collaboratif pour son projet 

Tous ces outils sont, bien entendu, complémentaires, en plus d'être libres et gratuits !

"Colibris a souhaité proposer des services libres décentralisés pour mettre ses outils en cohérence avec ses valeurs."

- Tu habites à Moscou. As-tu quelque chose à voir avec l'élection de Trump ?

Déjà que l'on me confond avec Edward Snowden, qui lui aussi habite en Russie, plus personne ne croira que c'est l'amour et non une sombre histoire de hackeur ou d'espionnage, qui m'a mené dans ces froides contrées ! En tout cas, c'est vrai que ces scandales sont une aubaine pour expliquer la nécessité de passer à des solutions libres et décentralisées, et de protéger ses données personnelles. 

En revanche, nous ne proposons pas ces solutions par antagonisme à toutes les mauvaises pratiques. Dans le mouvement Colibris, c'est cette notion de bienveillance et de "faire sa part" que j'aime, qui passe notamment par des propositions et non de la dénonciation. Au travers de ces services libres, nous proposons un véritable chemin alternatif. Colibris montre ainsi que tout projet de transition peut être entièrement réalisé avec des outils dont l’éthique est en adéquation avec ses valeurs.

J'insiste aussi sur l'aspect progressif de notre démarche. Nous sommes nous-mêmes à Colibris sur le chemin de la migration. Par exemple, nous communiquons encore sur des réseaux sociaux peu fréquentables comme Facebook ou Twitter, mais nous avons la volonté d'investir des réseaux alternatifs, libres et décentralisés, tels que Diaspora et Mastodon.


- Que réponds-tu aux personnes qui voient peu d'intérêt à protéger leurs données personnelles car elles se disent qu'elles n'ont rien à cacher ?

Il existe le site "Je n'ai rien à cacher" spécialement créé pour répondre à cette question. Je retiens surtout l'argument suivant : les données restent quand la législation et le pouvoir, eux, changent. Par exemple, pour tout de suite aller jusqu'au point Godwin, les juifs allemands appelés à se déclarer dès 1936 ont alimenté un fichier qui a servi plus tard au gouvernement nazi... Il y a aussi une différence entre le fait de volontairement publier des informations personnelles et le fait d'accepter (mais a-t-on réellement lu les "Conditions d'utilisation" ?) qu'une société revende nos données personnelles, fasse du profilage intensif à des fins publicitaires ou politiques...

- L'idéal du libre parle à beaucoup de monde, mais en pratique les alternatives semblent parfois moins fiables, moins ergonomiques que les versions propriétaires...

C'est un constat que je partage. Beaucoup d'alternatives libres sont en effet moins belles, moins ergonomiques, ou proposent moins de fonctionnalités que leurs équivalents propriétaires. Cela s'explique par le fait qu'il n'y a pas les mêmes moyens derrière. Un développeur dans sa grotte peut facilement écrire du code libre à ses heures perdues. Mais s'il veut, en plus, ajouter un design élégant, il aura à faire appel à un spécialiste du design qui fera une maquette à intégrer. Cela implique de multiplier les contributeurs et de les synchroniser. Ce qui est difficile quand la plupart des développeurs travaillent sur leur temps libre. 

"Beaucoup d'alternatives libres sont moins belles, moins ergonomiques... mais plus il y aura de contributeurs compétents et motivés par le bien commun, plus cela s'améliorera. Ça n'est qu'une question de temps et d'altruisme !"

Alors mon espoir, c'est que de plus en plus de gens se mettent à utiliser des logiciels et des services libres, pour que l'on ait de plus en plus de gens compétents et motivés pour travailler ensemble, et que l'on puisse trouver des modèles économiques permettant de dégager du temps pour améliorer les services libres. Un code source publié sous licence libre est vraiment un cadeau fait à la communauté ; n'importe qui peut profiter de ce don et l’améliorer. Ce n'est qu'une question de volonté et d'altruisme de chacune et chacun.

"Coding Party" des développeurs des outils libres Colibris à Habiterre, Die, en 2017.

- Est-ce que les porteurs de projets ont un rôle particulier à jouer dans la transition vers les outils libres ?

Oui, bien sûr ! Enfin, je ne voudrais pas mettre de pression supplémentaire aux porteurs de projets qui doivent déjà penser à beaucoup de choses ! Cependant, pour garantir la pérennité d'un projet, il est dans leur intérêt d'utiliser des solutions libres dès le début. Par exemple, beaucoup de projets décident de mettre leur site internet sur des plateformes d’hébergement non libres montées par des startup. Celles-ci finissent souvent par disparaître, entraînant la disparition du site du projet avec elles. Le temps de création d'un site peut être plus long avec des logiciels libres installés soi-même, mais on a des garanties sur la pérennité.

"Les porteurs de projets citoyens sont des pionniers ; s'ils montrent qu'il est possible de travailler avec des solutions libres, cela contribuera à largement à les diffuser..."

Et puis, les porteurs de projets étant des pionniers, ils entraînent avec eux toutes les personnes qui suivent leur initiative. S'ils montrent qu'il est possible de faire des choses avec des solutions libres, cela inspirera du monde derrière et pourra faire effet boule de neige !

- Aussi libres qu'ils soient, ces logiciels restent hébergés sur des infrastructures polluantes et énergivores, non ?

Il existe aussi du matériel informatique [hardware] libre. Arduino par exemple : un circuit imprimé programmable avec des entrées et sorties multiples. Ou encore Raspberry pi : un mini ordinateur peu gourmand en énergie. En revanche, il est vrai que les technologies numériques nécessitent des infrastructures qui consomment beaucoup de ressources naturelles (énergies, eau, terres rares, métaux...) en plus des composants difficilement recyclables... 

Les outils libres ne résolvent pas, seuls, ces problèmes écologiques, mais ils initient une autre voie. En effet, du coté des GAFAM, on recherche la performance, la redondance, l'omnipotence - cela nécessite beaucoup d’énergie. Les solutions libres décentralisées sont en revanche plutôt sur des circuits courts, cherchent l'universalité (fonctionner de partout y compris via un vieux matériel) et se veulent compatibles avec des réparations plus faciles. Avec le code ouvert et les plans disponibles, des contributeurs peuvent aussi optimiser le code avec l'objectif de moins consommer. 

Avec Internet, on peut partager des informations, des idées, de la culture instantanément, presque avec le monde entier. C'est extraordinaire mais ça peut aussi être de l’énergie dépensée inutilement ! Il faut simplement être vigilant à bien utiliser ce média pour partager des choses importantes sans juste inciter à la consommation et à "l'infobésité"...

Florian se demande bien ce qu'Aurore entend par "parcours Outils libres"... 

- Florian : Avant de rentrer dans le vif du sujet, quelques mots sur toi, Aurore ?

J'ai rejoint l'équipe de l'Université des colibris en septembre 2017. Ces dernières années, j'ai eu la chance d'étudier et de contribuer à plusieurs initiatives d'introduction du numérique dans l'enseignement, ce qui a beaucoup déconstruit les premières idées que j'avais pu avoir. Mis à part ça j'ai une passion secrète pour les coloriages et les GIFs animés.

- En même temps que la sortie de la plateforme outils libres, sort aussi un parcours "Des outils libres pour vos projets collectifs" sur l'Université des colibris, peux-tu nous en dire plus ?

Le parcours a pour objectif de proposer un accompagnement à l'utilisation d'outils libres pour structurer les activités d'un collectif. Il faut environ une heure pour le réaliser  et il se découpe en 5 modules :

  • Collaborer : nécessité ou effet de mode ?
  • Trucs et astuces pour une animation conviviale
  • Le rôle d'animateur : un jardinier
  • Le problème c'est les autres
  • J'ai mon wiki, et maintenant ?

- Quelle information essentielle as tu retenu de ce parcours?

Je suis loin d'être une spécialiste du sujet, mais ce que j'ai trouvé le plus intéressant, c'est cette idée d'amener un débat, et une prise de conscience plus que d'apporter des réponses toutes faites. L'une des premières vidéos du parcours commence par parler des cas où un outil de collaboration numérique n'est pas forcément nécessaire. 

Tout se passe comme si nous étions constamment incités à tester de nouveaux outils et services en ligne, ce qui amène parfois à se détourner d'une question centrale : dans quels cas ces outils sont-ils utiles et dans quels cas ne le sont-ils pas ?

"Sans cesse sollicités par de nouveaux numériques, on oublie parfois cette question centrale : dans quels cas ces outils sont-ils utiles et dans quels cas ne le sont-ils pas ?"

- Les MOOC sont une forme nouvelle d'apprentissage. Quels avantages et quels inconvénients y vois-tu ?

L'énorme avantage des MOOC réside dans leur capacité à créer et à mobiliser une communauté d'apprentissage, qui peut prendre son autonomie et s'entraider. Une des choses que je trouve belle à voir, ce sont tous les échanges qui ont lieu entre les participants aux différentes formations de l'Université des colibris. Ces interactions vont d'un coup de main pour utiliser la plateforme et les wikis, à des partages d'expérience plus approfondis. 

On sort un peu de la vision selon laquelle le savoir et l'expérience résideraient dans une source unique, pour passer à un modèle où on parie sur le dynamisme et la richesse du collectif.

- Comment les outils libres peuvent ils être utiles dans un processus d'apprentissage, d’éducation ?

De manière concrète on trouve dans les outils libres plusieurs alternatives aux outils propriétaires qui entrent de plus en plus tôt dans les salles de classes. En 2016 par exemple, le partenariat entre l'Éducation Nationale et Microsoft dans le cadre du plan numérique à l'école avait fait débat. Et pour cause, il est paradoxal de vouloir former les élèves à une approche critique des outils numériques tout en permettant à de grandes entreprises de modeler leurs habitudes aussi tôt.

Les outils libres amènent également toute une démarche aux antipodes d'un consumérisme passif, qui peut amener à parler des communs, d'économie collaborative, et plus largement d'une autre manière de voir les échanges - ce qui me semble particulièrement pertinent dans les démarches de formation.

Formation numérique à l'occasion du café de La Fabrique des Colibris

- Est-ce que le numérique n'est pas un danger pour la connaissance, dans le sens où l'on ne ferait plus l'effort de mémoriser des informations que l'on trouve tout de suite sur Internet?

Plus que les dangers pour la mémorisation, ce qui m'inquiète, ce sont les différents signaux qui montrent les impacts très négatifs d'une surexposition aux écrans sur le développement cognitif des enfants. Paradoxalement ces outils qui se veulent des moyens de favoriser les échanges peuvent amener plus d'isolement. Les MOOC comme les parcours en ligne sont finalement des outils très versatiles, à nous d'en inventer des usages pertinents.

"Paradoxalement, le numérique, qui favorise la connexion entre les personnes, peut conduire à l'isolement. Les formations en ligne sont finalement des outils très versatiles, à nous d'en inventer des usages pertinents."

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Bonjour, Pas de numéro spécial prévu sur la question, mais vous pouvez aller voir du côté de : - https://mail.lilo.org/ - https://posteo.de/fr - https://protonmail.com/fr/

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