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Entretien avec Ulysse Blau

Soyons à l’écoute des maires !


En plus d’accompagner les personnes et les collectifs dans leur prise de conscience et dans leur passage à l’action, le Mouvement Colibris change d’échelle. Partant du principe que l’écoute de tous les acteurs est un préalable indispensable à l’action commune, l’association veut engager la transition écologique et solidaire dans les quartiers, les communes, les bassins de vie... Et les élus locaux en font partie !
Ulysse Blau, ingénieur en bioressources, est allé à la rencontre de maires du Calvados. À vélo, pendant trois mois, il les a questionnés sur leur mission, la transition écologique, la démocratie locale, telles qu’ils et elles les ressentent et les vivent. Il invite aujourd’hui les citoyens et les collectifs à franchir les portes des mairies.



Ulysse, quelle était ton intention quand tu as enfourché ton vélo pour aller poser des questions à soixante-quatre maires du Calvados ?
J’ai travaillé plusieurs années à Paris dans le domaine du bâtiment durable. Et je me suis rendu compte que les dynamiques dans les grandes villes était extrêmement lente, lourde, qu’il y avait des choses qui se mettaient en place, mais que tout prenait beaucoup de temps. Face à l’urgence du changement climatique, les villes allaient être trop lentes pour répondre suffisamment à toutes ces crises, et que peut-être les solutions se trouvaient ailleurs. Et comme je ne savais absolument pas ce qui se passait en dehors des grandes villes, j’ai pensé que la meilleure façon de savoir était d’aller sur place, et de poser la question ! Je suis donc parti, à vélo, de mi-avril à mi-juillet 2019, interviewer un maire par jour, 64 maires, tirés au sort, avec comme objectif de comprendre concrètement ce qui se passe dans des communes "normales", sur la gestion des ressources et l’implication des citoyens, pour avoir cette vision très concrète de la réalité du terrain.

"Tout ce qui m’avait été listé comme impossible avait été réalisé par un autre maire"

Quel accueil as-tu reçu ?
J’ai été très agréablement surpris par l’accueil. L’immense majorité des maires a accepté de me rencontrer, que ce soit dans les toutes petites communes, ou dans les grandes, comme Caen. Ils se sont rendus disponibles le jour où je passais, ils ont pris le temps de répondre à mes questions, pendant l’heure d’interview. Je leur posais toujours les mêmes questions, élaborées en amont avec un comité de pilotage – composé d’experts, de journalistes, de sociologues, et d’un élu – que j’avais constitué. Ce formulaire, construit pour être solide et non biaisé, garantissait que les réponses du premier maire puissent être comparées à celles du dernier. C’est une étude auto-organisée et auto-financée : je voulais absolument qu’elle soit libre et indépendante, pour pouvoir partager les retours, les apprentissages, sans le filtre d’un financeur.

Les questions étaient très terre à terre : "D’où vient l’eau potable qui sort des robinets ?", "D’où vient la nourriture ?", "D’où vient l’énergie ?", et pas du tout "Est-ce que vous êtes pour ou contre l’écologie ?". L’idée était de revenir à des choses extrêmement concrètes, qui parlent à des élus locaux, pour retirer l’aspect politique. Je précisais aux élus que les réponses qu’ils me donneraient seraient anonymisées. Ça leur permettait donc de partager plus facilement avec moi leurs ressentis. Et aussi, comme je ne suis pas normand à la base, ils n’avaient pas besoin de faire campagne pendant l’interview. 


Dans le bureau du maire de Honfleur


Qu’est-ce qui ressort de ton périple ? Quel bilan en tires-tu ?
En prenant du recul, à la fin de mon voyage, je me suis rendu compte que tout ce qui m’avait été listé comme impossible avait été réalisé par un autre maire ! Et sans même aller voir les maires les plus innovants, juste ceux tirés au sort ! C’est cet espoir qui ressort de cette étude, le message que j’ai envie de faire passer : tout ce qu’on veut faire est réalisable. C’est parfois difficile à mettre en place, long, lourd, mais ce n’est pas impossible.

D’après toi, ce qui a été mis en place permettrait d’être à la hauteur des enjeux ?
Ce qui est intéressant, c’est que parmi les maires qui mettent en place des choses, rares sont ceux qui le font pour la transition écologique. C’est souvent des choses évidentes, de bon sens. Si j’avais abordé la question sous l’angle de la transition écologique, je pense que j’aurais eu très peu de réponse, parce que "l’écologie" ça fait peur, ça coûte cher, c’est plus des problèmes qu’autre chose. En abordant le sujet sous des angles très terre à terre, j’ai pu parler avec des élus qui ne se disaient pas du tout écolos, mais qui en fait faisaient plein de choses, que même des maires écolos ne font pas ! Quand un maire travaille par exemple sur un conseil municipal des jeunes pour dynamiser la commune, grâce à ça, il met des bancs sur la place du village pour les anciens, ou des poubelles à l’arrêt de bus. Il n’ont pas mis ça en place pour l’écologie, mais pour la qualité de vie ! Dans une petite commune qui a beaucoup de petits commerces en centre-ville, concurrencés par une grande surface en périphérie, où les gens vont faire leur plein d’essence et en profitent pour faire leurs courses, eh bien la commune a mis en place une pompe à essence municipale dans le centre, pour que les gens puissent faire le plein et leurs courses dans le centre ! 

Ce n’est pas forcément une démarche écolo, mais ça va dans le sens de soutenir l’économie locale, créer du lien social… Si l’initiative avait été estampillée écolo, elle aurait peut-être eu des difficultés à se mettre en place, voire aurait été bloquée. Mais parce que l’objectif est d’améliorer la qualité de vie, encourager le commerce local... ces maires font des choses formidables, quelles que soient leur origine ou leur vision politique. Il y a plein de façons d’aborder le sujet.

— “Qu’est-ce que vous avez prévu si, par exemple, les camions n’approvisionnent plus les supermarchés ?”
— “Mais... je n’ai absolument rien prévu !”

Tu dis que les maires que tu as rencontrés avaient parfois des lacunes sur certains fonctionnements. En as-tu rencontré qui étaient conscients des risques d’effondrements, et de la nécessaire sécurisation des approvisionnements en ressources essentielles (eau, nourriture…) – la nécessaire résilience en somme – ?
Extrêmement peu. Sur la soixantaine de maires, il y en a eu peut-être un ou deux. Une des questions que je pose, c’est : "Qu’est-ce que vous avez prévu en cas de crise alimentaire ? Si, par exemple, les camions n’approvisionnent plus les supermarchés”. Et là, j’ai vu blêmir ce maire d’une grosse commune du Calvados. Il m’a dit : “Mais... je n’ai absolument rien prévu !”. C’est assez terrible. Mais au moins, la question a été utile, car il y a peut-être eu des prises de conscience !

Néanmoins, sans parler d’effondrement, de nombreux maires voient la nécessité de relocaliser la production, surtout depuis la crise du Covid. Mais ils ne mettront pas le mot "résilience" dessus. C’est ça qui est intéressant dans le questionnaire, c’est que je ne parle pas d’écologie, de bio… mais de sécurité d’approvisionnement, de qualité de vie. On peut faire les choses dans le même sens, mais sans l’étiqueter de manière similaire.



Un autre axe important de l’étude porte sur le dialogue entre élus et habitants, et sur l’implication de ces derniers. Peux-tu nous en parler ?
Oui, tout à fait. Pour les élus, ça semble très compliqué d’impliquer les habitants et les habitantes. Ces derniers semblent souvent en attente. De leur côté, comme j’ai pu le voir en échangeant avec des habitants – je dormais chez eux tout au long de mon enquête –, ils attendent souvent que le maire propose des choses. Chacun attend donc que l’autre bouge… C’est une piste pour expliquer le statu quo ! L’implication des habitants, ça donne du poids aux maires. Par exemple, un maire aura d’autant plus de légitimité pour demander des produits locaux pour la cantine scolaire s’il dit à l’intercommunalité que des parents en font la demande régulièrement. Le pouvoir du maire dépend en grande partie de la pression que lui mettent les habitants et les habitantes.

Il y a un vrai travail à faire pour oser parler, oser échanger sur ce que l’on souhaite, d’un côté comme de l’autre. C’est pourquoi j’étais heureux que cette enquête sorte avant les élections municipales, pour tenter de mettre au centre des discussions les enjeux de transition écologique, de gestion des ressources, de l’implication des citoyens.  

"J’avais l’impression que les élections étaient un combat entre partis pour prendre le pouvoir dans une commune. Mais dans les communes que j’ai visitées, c’est très difficile de trouver des personnes qui acceptent d’être sur une liste !"

On a vu justement, lors des élections municipales, puis des régionales, une montée de listes citoyennes. Vois-tu cela comme un signal fort sur la participation des citoyens ?
Comme je n’ai rencontré que des élus, et que j’avais peu de temps à passer dans chaque commune, je n’ai pas discuté avec des listes citoyennes. Mais le plus souvent, dans les petites communes, il n’y a qu’une seule liste qui se présente, parfois deux. J’avais l’impression, venant de région parisienne, que les élections étaient un combat entre partis pour prendre le pouvoir dans une commune. Mais dans les communes que j’ai visitées, c’est très difficile de trouver des personnes qui acceptent d’être sur une liste. Donc celles et ceux qui souhaitent participer sont en général bien accueillis !



Suite à la publication de cette étude, quelles ont été les autres étapes ? Tu as voulu essaimer la démarche ?
L’étude a rencontré un grand succès : elle a été téléchargée des dizaines de milliers de fois, partout en France, et a eu beaucoup d’échos dans la presse, locale et nationale. J’ai reçu plusieurs demandes pour intervenir dans d’autres départements. Et je proposais aux personnes d’aller elles-mêmes faire l’étude, pour voir si ce que j’observais dans le Calvados était généralisable. Et ça a marché, au-delà de ce que j’espérais ! Plus d’une centaine de personnes se sont montrées intéressées, et une dizaine est vraiment partie interviewer des maires tirés au sort, sur leur territoire, ou sur leur lieu de vacances. 

Avec cette communauté grandissante, on se rassemble régulièrement pour partager nos retours et enrichir la synthèse afin qu’elle soit la plus représentative possible.

Des collectifs s’emparent aussi de cet outil, comme le Collectif Climat du Pays de Caux (Seine maritime). Ça a été un bon moyen pour eux de se rapprocher des élus, ne pas être dans la confrontation, mais dans l’écoute, la compréhension. C’est une étape importante pour construire un dialogue ultérieur.

"C'est un bon moyen pour se rapprocher des élus, ne pas être dans la confrontation, mais dans l’écoute, la compréhension. C’est une étape importante pour construire un dialogue ultérieur.
"

Si tu avais un appel à faire aux collectifs, aux groupes locaux Colibris, ce serait ça, prendre le questionnaire sous le bras, et interviewer les maires sur leur territoire ?
Tout à fait ! Tout est à disposition sur le site "La route en communes". Une communauté est disponible pour partager, et pour aider sur les différents aspects pratiques : comment prendre rendez-vous avec un élu, comment mener un entretien, comment retranscrire, faire la synthèse, etc.

Pour ma part, cette démarche m’a transformé. J’ai pris conscience de ce que c’était d’être maire. Quand on est conscient des difficultés que peut avoir l’autre, c’est beaucoup plus facile pour échanger. Cette écoute donne accès à des connaissances qui permettront par la suite de mieux interagir avec les élus, faire qu’ils soient partie prenante des projets qu’on propose, voire force de proposition et réel soutien !


Pour aller + loin

- Découvrez l’étude "Les maires et la transition écologique", d’Ulysse Blau.
- Vous voulez interviewer des maires près de chez vous ? Rejoignez la communauté de la Route en Communes !
- Le Mouvement Colibris organise le 28 octobre un webinaire avec Ulysse Blau (réservé aux membres des Groupes Locaux).

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