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Nouvelles pousses d’une foresterie plus écologique


Forestiers en forêt domaniale de Boscodon, Hautes-Alpes (© Sylvain Duffard)

Christophe Deschamps est forestier à l’Office national des forêts (ONF) depuis près de quarante ans, dans le nord de la Côte d’Or. Amoureux de son métier et des forêts françaises, il ne se résigne pas aux dérives de la gestion industrielle de celles-ci. Ni au saccage de sa biodiversité. Il s’exprime, ici, en son nom, sous le couvert du syndicat national unifié des personnels forestiers et des espaces naturels (SNUPFEN) auquel il appartient. Dans cette deuxième partie, il explore les alternatives à l’œuvre et les possibles pour sauver ce beau manteau forestier.

 

Labels efficaces ou simple marketing ?

- Depuis des années, on parle de gestion forestière durable, en métropole comme sous les tropiques, avec l’adoption de labels, tels celui du FSC [Conseil de Soutien de la Forêt] et de l’écocertification PEFC [Programme de reconnaissance des certifications forestières]. Proposent-ils vraiment des modes de gestions vertueux pour la régénération des forêts ?

Le label PEFC, label européen, est le plus utilisé en France. Ainsi, toutes les forêts domaniales sont labellisées PEFC, et les communes qui le souhaitent peuvent l'être sans problèmes. Il suffit de détenir un plan de gestion et de respecter la législation en vigueur, et l’utilisation de produits phytopharmaceutiques* et des fertilisants y est seulement déconseillée... 

Quant au FSC, c’est un label conçu à l'origine pour les forêts tropicales. Il est assez peu utilisé en France. Malgré tout, deux forêts domaniales ont été certifiées FSC au printemps de cette année. Ce dernier label paraît plus exigeant que le PEFC. Il n’est pas possible de détailler ici l’ensemble du cahier des charges mais, par exemple, l’utilisation de produits phytopharmaceutiques y est strictement limitée et doit être documentée.

L’ensemble de la filière peut être certifiée, du propriétaire au distributeur en passant par le bûcheron et le scieur avec, pour chaque niveau, des engagements à respecter concernant l’utilisation d’huiles bio ou le pourcentage de bois certifiés dans l’approvisionnement. Pour autant, à mon sens, ces deux certifications correspondent souvent plus à un positionnement marketing qu'à un véritable engagement environnemental pour la forêt.


LES SERVICES RENDUS PAR LES FORÊTS

➤ 5,1 millions d'hectares sont écocertifiés PEFC

➤ La forêt française séquestre chaque année 45 millions de tonnes de CO2 net, soit 8 % du total des émissions nationales de gaz à effet de serre

➤ La forêt française abrite 40 % des zones Natura 2000

➤ La forêt publique accueille plus de 500 millions de visites chaque année.


Ôde aux futaies jardinées

- Il y a un mode de gestion, dit en futaie jardinée, qui paraît également vertueux au niveau écologique : peux-tu nous en expliquer le principe et nous dire si cette pratique est importante en France ?

Le traitement en futaie irrégulière (FIR) est effectivement le mode de gestion le plus proche du fonctionnement d'une forêt naturelle [voir l'encadré]. C'est le traitement qui a le moins d'impact sur le paysage. Celui qui nécessite également de la part du forestier, la plus grande attention et le meilleur savoir-faire. Dans ce type de traitement, c'est le dosage de la lumière arrivant au sol qui est le plus important. Dès lors, s'il est relativement facile de le mener sur des essences d'ombre comme le hêtre ou le sapin pectiné, il est plus délicat à mettre en œuvre avec des essences de lumière comme le chêne.

Si ce traitement était autrefois réservé aux régions montagneuses, notamment en Franche-Comté, il se développe à présent en plaine malgré les réticences d’un certain nombre de forestiers publics. Mais la surface traitée ainsi reste relativement marginale : à peine un peu plus de 4 % de l’ensemble du massif forestier français. Et 5 % des forêts domaniales, même si cette surface a doublé en trente ans, passant de 38 000 ha en 1985 à environ 80 000 ha en 2015. Il est à noter que l'ONF a pris la décision à l'automne 2017 de traiter les forêts domaniales d'Île-de-France en futaie irrégulière, lesquelles représentent 73 000 ha.  

Forêt domaniale de Fontainebleau,  Seine-et-Marne (© Sylvain Duffard)  

- Ces quinze dernières années, des méthodes de gestion forestières alternatives se développent  en France à l’initiative de diverses coopératives professionnelles et de collectifs citoyens. Ils tentent de concilier productions de bois, emplois, régénérations des sols et de la ressource biologique. Quels sont les principaux leviers pour que ces pratiques sortent de la marginalité et soient économiquement soutenable ?

Plusieurs associations (ProSilva, Réseau Alternatives Forestières, SOS Forêt...) proposent des modes de gestion alternatifs respectant les cycles des écosystèmes forestiers, promouvant une sylviculture douce par opposition à la sylviculture "brutale" montrée au début du film Le temps de forêts. Ces différentes structures souhaitent un retour à une sylviculture proche de la nature, mais pourtant rentable, en opposition au modèle dominant très mécanisé et entraînant une uniformisation des forêts.

“Trois mesures pour rétablir une foresterie durable : limiter l’export de bois brut ; arrêter les méga-projets industriels d’utilisation de la biomasse pour la production d’énergie ; stopper les politiques actuelles d’intensification et d’artificialisation de la sylviculture.”

Cette sylviculture douce est essentiellement liée à la mise en place de la futaie irrégulière, de zones laissées en libre évolution et d’une exploitation respectant les écosystèmes. Il est difficile de donner des chiffres sur les surfaces concernée. Mais l’association ProSilva par exemple, regroupe environ 400 membres représentant environ 200 000 ha de forêts. Cela reste marginal pour l’instant, mais la réflexion fait son chemin dans l’esprit des forestiers… 

Au-delà de la gestion en futaie irrégulière, plusieurs mesures d’ordre politique sont à adopter. J’en citerais trois, préconisées par SOS Forêt : soutenir les initiatives qui concourent à limiter l’export de bois brut ; arrêter les méga-projets industriels d’utilisation de la biomasse pour la production d’énergie ; stopper les mesures d’intensification et d’artificialisation de la sylviculture actuellement prônées par le gouvernement. 

BONNE NOUVELLE FORESTIÈRE D'OUTRE-RHIN 

La forêt allemande de Hambach, vieille de 12 000 ans et située entre Cologne et Aix-la-Chapelle, devrait être sauvée des griffes du géant de l’énergie RWE. En effet, le 5 octobre, la Cour régionale administrative a accepté le recours d’une ONG pointant la présence d’espèces protégées dans cette zone et a suspendu la déforestation. C’est une belle victoire pour toutes celles et ceux qui se battent pour sa protection depuis 2012. Barricades, manifestations, cabanes dans les arbres… Au fil des ans, la forêt de Hambach est devenue la plus grande zone à défendre (ZAD) d’Europe : 200 hectares de massifs restants sur les 4 100 ha d’origine. Cette (première) victoire a été fêtée il y a quelques jours par environ 50 000 personnes.

Sacrifier des forêts à l'industrie et sauver les autres ?


- La forêt, ce n’est pas que du bois sur patte. Elle rend tout une série de « services écosystémiques » précieux pour l’humanité : pour assurer la diversité biologique, la qualité des eaux, la préservation du climat, etc. Pense-tu qu’on peut concilier dans un même massif ces services et une exploitation du bois, ou faut-il, comme l’assurent certains, sanctuariser les massifs les plus précieux du point de vue biologique, et sacrifier les autres à l’exploitation ?

La première chose à laquelle il faut penser, lorsqu’on gère une forêt est que la forêt n’a pas besoin de l’homme… C’est l’homme qui a besoin de la forêt ! Nous devons alors faire preuve de beaucoup d’humilité vis à vis d’elle. Cela étant dit, on assigne traditionnellement à la forêt quatre fonctions : la production de bois, une fonction écologique, une fonction sociale (paysage, accueil, eau potable), et de protection contre les risques naturels. Ces fonctions, inscrites dans le code forestier, sont considérées comme de la "gestion multifonctionnelle".

Ces enjeux n'ont cependant pas tous la même importance dans toutes les forêts : par exemple en montagne, l'enjeu de protection contre les risques naturels peut primer sur tous les autres. Il ne faudrait pas, par contre que l'enjeu de production puisse primer sur tous les autres. C'est pourtant parfois ce qui se passe, même en forêt publique où l'on va, par exemple faire une coupe rase d'une belle parcelle de chêne pour y planter du douglas.

À l'opposé des forêts américaines, où les fonctions ont été clairement définies entre forêt de production et forêts protégées telles qu'on peut les voir actuellement dans les grands parcs nationaux, l'ambition de la forêt française était de concilier toutes les fonctions sur une même forêt. Or, actuellement, on assiste à une sorte de ségrégation du territoire forestier, qui tend à rejoindre une gestion à l'américaine des forêts publiques. Et ce avec le développement de massifs exploités d’une façon industrielle, et des zones Natura 2000 (41 % des forêts domaniales) ou protégées autrement ( 7 % des forêts domaniales ont un statut de protection fort : réserve biologique, arrêté de protection de biotope, réserve naturelle, cœur de parc national...). Ainsi, on nage en pleine contradiction ! D'un côté l'ONF fait de gros efforts pour la gestion de ces espaces protégés (il n'y a jamais eu autant de forestiers affectés à des fonctions de naturalistes), et d'un autre côté dans les zones sans statut particulier, il y a une gestion très productiviste.

À mon sens, il est possible de concilier dans un même massif, les différentes fonctions. Et c'est à l'Etat d'exiger cela de ses forestiers (mais aussi des propriétaires privés !) et de mettre en place les politiques permettant de le faire.


LES MOTS DE LA SYLVICULTURE

Peuplement : ensemble des arbres vivant sur une parcelle forestière.

Taillis : Peuplement issu de rejets de souches

Futaie : Peuplement d'arbres issus de graines.

Taillis sous futaie (TSF) : Peuplement contenant taillis et futaies. Lors de coupes périodiques le taillis est exploité ainsi que des futaies. Des futaies sont également mis de côté (réservées). Ce traitement permet d'obtenir à chaque passage une récolte de bois pour le chauffage ou l'industrie et du bois d'œuvre pour la construction. Il a été très utilisée depuis au moins le Moyen-Age dans toutes les forêts car il permettait de fournir le charbon de bois qui était à l'époque la seule source d'énergie pour les particuliers et l'industrie. Le charbon de "terre" n'étant utilisé en France que depuis la deuxième moitié du XIXème siècle.

Futaie régulière : peuplements dans lequel les arbres ont tous le même âge. Ils sont issus soit d'une plantation, et on parle alors de peuplement régénéré artificiellement. Soit ils proviennent de semis produits par les arbres en place, et on parle de peuplement régénéré naturellement.

Futaie irrégulière (ou jardinée) : peuplements dans lequel les arbres ont des âges différents mélangés, soit pied à pied, soit par petites surfaces. A chaque passage en coupe, le forestier récolte les arbres mûrs pour faire la place aux semis et récolte quelques arbres mal conformés. C'est ce traitement qui est le plus proche du fonctionnement d'une forêt "naturelle".


POUR ALLER + LOIN

– Deux BD. L’une est pour les enfants : La Forêt Millénaire, l'ultime album de Taniguchi l'enchanteur. Une superbe BD sur une forêt, source de rêves et de puissance pour un jeune garçon tokyoïte...

L’autre est pour plus grands :  The End, la BD de Zep, retrace la saga d’une équipe de chercheurs au sein d’une forêt suédoise où les arbres communiquent entre eux et nous. Et ce qu’ils ont à nous dire n’est pas vraiment réjouissant. Brr...

– Un DVD à présent. Communication des arbres entre eux et avec leur environnement, toujours. Mais cette fois-ci dans une version plus scientifique : c’est le célèbre documentaire L’intelligence des arbres, inspiré par le forestier allemand Peter Wohlleben, auteur du bestseller La Vie Secrète des Arbres.

– Et pour ne pas oublier les forêts tropicales et comment “faire sa part” pour les protéger, lisez donc cet essai d’Emmanuelle Grundmann, Devenir consom'acteur : l'huile de palme.

– Découvrez encore ce remarquable essai de Jean-Baptiste Vidalou sur des peuples en lutte dans des zones forestières, ici et ailleurs : Être forêts. Habiter des territoires en lutte, aux éditions La Découverte (2017).



* On le sait peu, mais les pesticides utilisés en forêts sont en fait très divers : du désherbant asulame contre la fougère ou du glyphosate (plus connu sous son nom commercial historique de Roundup et que l’ONF vient juste de bannir des forêts publiques), aux insecticides pour lutter par exemple contre l'hylobe (un charançon) sur les jeunes plantations de douglas à base d'imidaclopride (un néonicotinoïde si nocif pour les abeilles), en passant par des fongicides pour protéger les résineux contre le fomes ou la maladie du rond (une pourriture de cœur qui se propage par les racines des arbres). Heureusement, l’usage de ces produits chimiques tend à diminuer.

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