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Entretien avec Benoît Biteau

Nouvelle-Aquitaine : arrêtons les politiques contradictoires dans les régions !

Agriculteur bio en Charente-Maritime, actuel député écologique au Parlement européen, et conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine – il en est à son deuxième mandat dans le groupe Radical de gauche –, Benoît Biteau assure que les régions peuvent constituer un outil efficace pour une transition écologique des territoires. Pour peu qu’elles fassent des choix clairs et cohérents ! L’exemple en Nouvelle-Aquitaine.


– Vous qui êtes à la fois agriculteur bio et conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine, et auparavant de Poitou-Charentes, estimez-vous que cette Région soutient efficacement l’agriculture écologique ?

La Nouvelle-Aquitaine se montre très volontariste en matière d’agroécologie, et notamment en faveur de l’agriculture biologique (AB), personne ne peut le contester. Et cela pour une raison. La maquette financière [le plan budgétaire] de 2015 en Poitou-Charentes avait réservé une grosse enveloppe pour le développement de l’AB et de l’agroécologie. Et lorsque cette région a fusionné avec le Limousin et l’Aquitaine, il a été décidé de ne pas modifier cette maquette financière et d’en faire bénéficier la nouvelle grande région. C’est comme cela que des moyens substantiels ont été apportés à cette forme d’agriculture. C’est grâce à ça que la Nouvelle-Aquitaine a pu pallier en 2018 au désengagement de l'État en faveur des aides à l'AB, et maintenir une bonne dynamique de croissance de cette agriculture-là. Ce qui n’est pas le cas de toutes les régions françaises, loin s’en faut !


– Est-ce à dire que cette Région est exemplaire en matière agroécologique ?

Malheureusement pas. Cet effort serait vraiment efficace si la même Région sortait de ses ambivalences et de ses politiques contradictoires ! On continue à engloutir des centaines de milliers d’euros pour des formes d’agriculture qui ne sont que le Canada Dry de l’agroécologie. On a des injonctions contradictoires en soutenant la transition écologique d'un côté et, de l’autre, des solutions agricoles qui lui tournent le dos. Prenons deux exemples : les outils d’épandage de pesticides et la politique de l’eau.

Nous finançons sur fonds européen et régional des pulvérisateurs de pesticides dotés de buses anti dérive [technique pour limiter la dérive des jets de pesticides et donc leur diffusion dans l’environnement, ndlr]. C’est autant de milliers d’euros pour de fausses bonnes réponses que nous ne mettons pas ailleurs, notamment pour soutenir une agriculture qui se passe de pesticides ! 

Mon intention n’est pas de faire une ingérence dans les choix professionnels et les itinéraires techniques des agriculteurs, cela leur appartient en tant que chef d’entreprise. En revanche, en tant que cogestionnaire des finances publiques, nous avons une responsabilité sur la distribution de ces aides, nous sommes là pour donner des impulsions, en l’occurrence  pour favoriser la transition agroécologique. Ainsi, nos Plans de Développement Rural Régional ne devraient plus mettre sous perfusion ce type de solutions techniques qui poursuivent une agriculture chimique.

Quant à la politique de l’eau, en 2011, en tant que vice-président de l'ancienne région Poitou-Charentes, je n’avais pas fermé la porte aux retenues d’eau et à un soutien par la Région. J’avais simplement demandé qu’on s’engage sur un financement à 100 % afin de garantir une gestion publique de ce stockage de l’eau – qui est un bien commun. Cela signifie à la fois une gestion écologique de la ressource et un soutien apporté à certaines productions écologiques et profitables pour tous les consommateurs de la Région. Ce n’est pas le cas de celles destinées à l’exportation, tels le maïs, que ces retenues abreuvent avant tout. En outre, cette ressource bénéficie essentiellement aux exploitations actuelles et historiques, qui peuvent s’agrandir grâce à l’irrigation, alors que de nouveaux arrivants, parfois en agroécologie, n’y ont de fait pas accès. Rien qu’en Poitou-Charentes, entre les 4 départements qui la composent, on dénombre quelque 200 projets de retenues d’eau, qui pourraient mobiliser entre 300 et 400 millions d’euros d’argent public (avec un financement à 70 %). Est-ce vraiment le choix que veulent faire les habitants de Poitou-Charentes ? 

Crédits: Tom Fisk, Pexels

– Et en matière de politiques alimentaires, comment se situe  la Nouvelle-Aquitaine  sur le développement des circuits courts et l’accès des habitants précaires à une alimentation de qualité ?

Encore une fois, on observe une réelle volonté de l’exécutif régional d’aller dans cette voie. Mais ça ne l’empêche pas de soutenir dans le même temps des productions destinées à l’export. Cela conduit à un constat navrant, à savoir que les productions agricoles des zones entourant les métropoles de Nouvelle-Aquitaine sont très largement destinées à alimenter les vraquiers du port de La Palisse à La Rochelle, pour l’export, plutôt que les habitants de ces métropoles. Résultats, ces derniers sont nourris seulement à quelques 2 % par des productions locales… Il est temps d’assumer des choix politiques clairs, cohérents et courageux sur les priorités agricoles comme alimentaires.


– Pour autant, les Régions ont-elles vraiment la main sur ces politiques-là et peuvent-elles engager une transition écologique à l'échelle de leur territoire ?

Oui, je le crois vraiment. Il y a plusieurs leviers pour changer ces orientations agricoles et alimentaires, en plus de la volonté politique indispensable à avoir. J’en citerai juste deux. Les régions sont gestionnaires du deuxième pilier de la PAC, c’est-à-dire de son volet du développement rural (1). Or, ce second pilier concerne tout de même 25 % du budget de la PAC, soit un quart des 9,5 milliards d’euros d’aides agricoles perçues par la France chaque année de l’Europe (sur la période 2014-2020). C’est insuffisant par rapport aux aides directes à la production, mais ce n’est pas rien ! Et ça peut libérer un beau volume financier pour engager cette transition agroécologique. 

L’autre levier pour réorienter les politiques agri-alimentaires est celui de la commande publique. Là encore, ce n’est pas négligeable lorsqu’on est une région, qui a par exemple la compétence des lycées, et donc de leurs cantines. Ses compétences peuvent être toutefois contrecarrées par des fonctionnaires d'État gestionnaires de la commande publique pour ces repas dans les cantines, sur lesquels la région n’a pas d’autorité... Par ailleurs, pour rester sur l’exemple des cantines des lycées, la Région n’est pas le seul opérateur, elle est en fait un simple partenaire auprès d’autres collectivités (agglos, métropoles…) et elle ne peut imposer ses choix. Dès lors, les régions constituent des leviers précieux pour orienter les politiques alimentaires, mais elles ne peuvent pas se substituer à ces échelons territoriaux où se conçoivent, notamment, les fameux plans alimentaires territoriaux (PAT) multi-acteurs. Or, on constate qu’au sein des PAT il y a d’énormes disparités entre acteurs pour avancer vers le bio et le local dans les cantines, par exemple. Pour le dire autrement, si tous ces échelons de décision n’avancent pas en cohérence autour de la même volonté, cette transition aura du mal à voir le jour.

Crédits: Romain delbuenofood, Unsplash

(1) Le second pilier de la Ia PAC concerne, entre autres, la “modernisation” des exploitations agricoles, certaines aides à l'installation, un soutien pour l’activité dans les zones à handicaps naturels (par exemple les zones de montagne) ou encore les aides à l'agriculture biologique et pour des mesures dites agro-environnementales.



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