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Les maires verts ne feront rien sans nous !


©Wikimedia

Une poussée verte en trompe l’œil ? Les résultats des élections municipales ont eu de quoi nourrir notre espérance. La tâche qui attend ces nouveaux exécutifs écolos est cependant prométhéenne. Ils ne pourront pas faire basculer leurs territoires dans une ère écologique sans trouver des marges de manœuvre économiques, sans un changement des administrations nationales et territoriales , sans mobiliser les citoyens et nouer avec eux de nouvelles alliances. Cette perspective est après tout réjouissante car elle signifie que nous pouvons toutes et tous contribuer et construire ce changement local !


On aurait de quoi se réjouir. En juin dernier, les écologistes, alliés la plupart du temps à des collectifs citoyens et à des partis de gauche, remportent de grandes villes françaises. Cette poussée confirme celle des écologistes aux élections européennes. Dans la foulée, le nouveau gouvernement Castex réserve quelque 30 milliards d’euros à la « transition écologique » – du jamais vu ! – dans son plan de relance de l’économie française de 100 milliards pour la période 2020-2021. 

Alors, heureux... ? 

UNE OPPORTUNITÉ UNIQUE D'AGIR LOCALEMENT

Les nouvelles équipes écologistes et citoyennes dans les communes (et demain peut-être en régions) peuvent constituer un point d’appui précieux pour appliquer les préconisations des 150 participants de la Convention Citoyennes pour le Climat. « Une partie des 149 propositions sont de notre compétence. Nos leviers d’action sont nombreux. Nous nous engageons donc à appliquer les mesures que les 150 Français tirés au sort ont proposées pour changer de modèle et faire de la France un pays en avance dans la transition environnementale. » déclaraient d’ailleurs dans une tribune les élus d’une trentaine de grandes villes le 23 juillet dernier : « Nous favoriserons les circuits courts, proposerons, par exemple, une offre quotidienne de repas végétariens dans les cantines, bannirons les plastiques à usage unique de nos villes, proposerons une journée de télétravail aux employés municipaux afin de limiter les déplacements, favoriserons les énergies renouvelables et les projets d’autoconsommation... Enfin, certains d’entre nous iront encore plus loin sur le plan démocratique, en organisant à leur tour des conventions citoyennes à l’échelle de nos territoires. » 

RETOUR SUR UN SUCCÈS AUX ÉLECTIONS MUNICIPALES

Lyon, Marseille, Strasbourg, Bordeaux, Poitiers, Grenoble, Tours, Annecy, Chambéry, Besançon… À ces métropoles gagnées par les écologistes et leurs alliés s’ajoutent le succès de 66 listes participatives portées par des mouvements citoyens (à Dieulefit, Rezé, Droue-sur-Drouette St Médard-en-Jalles, Binic, La Montagne, Nogent-le-Rotrou, Bourg-Saint-Maurice, Plombière-Les-Bains, Vaour, Castanet-Tolosan, Barnac, Pellusin…). On peut aussi noter que des villes majeures sont restées à gauche ou le sont (re)devenues, souvent en alliance avec les écologistes (Paris, Nantes, Rennes, Montpellier, Nancy, Lille…).
Autre résultat remarquable : 23,1 % des listes étaient menées par des femmes au 1er tour (40,7 % à la tête des listes participatives !) et de grandes grandes villes françaises ont désormais une femme à leur tête (Paris, Lille, Nantes, Strasbourg, Marseille, Rennes, Besançon…), tandis qu’elles représentent 47,5 % des adjoints dans les communes.

ans la foulée de leur élection, ces nouvelles équipes se sont réunies pour s’« épauler les uns les autres et (…) partager les bonnes pratiques. ». Coordonner ses politiques locales, mutualiser certains appels d’offre, développer les solidarités entre collectivités, faire front et levier à l’égard du pouvoir central : tout cela est salutaire et nouveau. Ne boudons pas notre plaisir ! 

Les nouvelles équipes écologistes peuvent constituer un point d’appui précieux pour appliquer les 150 participants proprositions de la Convention Citoyennes pour le Climat.

DE GRANDES AMBITIONS ET BIEN PEU DE MOYENS

Personne ne croit pour autant que l’avènement de ces nouvelles édiles Vertes va faire basculer automatiquement le pays et ses territoires dans l’ère de l’Écolocène (1), où toutes les politiques, publiques comme privées, répondront aux biens communs. Car ce chemin du changement s’apparente en vérité à une course d’obstacles ! Voyez plutôt. 

Rappelons d’abord que les municipales ont été un raz de marée… abstentionniste. Alors que le maire est réputé être l’élu « préféré » des Français, les quelques 60 % d’abstention nationale marquent un triste record. Et cette défiance et désintérêt des électeurs risquent fort d’en préfigurer d’autres, aux élections prochaines. Or, sans l’appui fort (et les pressions !) des citoyens, les élus ont peu de chance de réussir seuls à faire vraiment bouger les lignes. Mêmes locales. 

Et puis, disons les choses : le contexte sanitaire et budgétaire est partout épouvantable. Et c’est bien le deuxième obstacle majeur au changement. Dans certaines communes et métropoles, les défis sociaux, économiques et écologiques sont immenses, et les marges de manœuvre financières sont nulles. Je pense ici à Marseille, en particulier, avec son alignement d’immeubles vétustes, ses cohortes de chômeurs, notamment dans les quartiers populaires et parmi les jeunes, sa pollution et bétonisation record, son endettement abyssal et sa désastreuse intégration des immigrés en nombre.

Les élus vont avoir besoin du soutien des mouvements associatifs et des habitants... mais aussi de leur patience

Là et ailleurs, il ne faudra pas seulement aux équipes écologistes et citoyennes du courage, de la pugnacité et une sacré dose d’imagination. Il leur faudra aussi déployer beaucoup de pédagogie, d’explications, rétablir la transparence dans les choix pris, s’appuyer chaque fois que possible sur leurs concitoyens par des expérimentations de quartiers, des délibération d’habitants, des référendums locaux. En retour, ces élus vont avoir besoin du soutien vigilant des mouvements associatifs et des habitants. Mais aussi de leur patience. Car les transformations écologiques et sociales prennent du temps et exigent de bouleverser bien des habitudes.

LE CORSET D’UN PAYS CENTRALISÉ

J’ajoute deux autres obstacles, qui me semblent majeurs. Nous demeurons un pays bien trop centralisé : pour un grand nombre de secteurs, qui impactent notre vie quotidienne (habitat, mobilité, emplois, santé…), ce sont l’État et l’Europe qui arbitrent les règles de gestion de l’action publique. Sans oublier le poids décisif des banques et fonds d’investissement sur le développement de ces politiques. Si bien que l’action et les pressions des citoyens doivent pouvoir se déployer aussi à ces niveaux, aux côtés des élus, des organisations politiques, humanitaires ou syndicales. 

Au-delà, c’est toute la politique des territoires locaux qui demande à être repensée et rééquilibrée, au profit des quartiers en difficulté, dans l’attention portée aux espaces périphériques, aux petites villes et aux villages. Et partout en prenant des mesures qui favorisent les échanges, la mixité et l’inclusion sociale. Le philosophe Pierre Charbonnier, chargé de recherche au CNRS et auteur de Abondance et liberté. Une histoire environnementale des idées politiques (La Découverte, 2020), estimait dans Libération le 30 juin, que l’écologie municipale, de plus en plus urbaine, fait face à deux scénarios possibles. D’un côté, celui « d’une consolidation des inégalités sociales et spatiales à partir des valeurs vertes ». De l’autre, affirme-t-il, elle peut ambitionner d’abolir « la frontière entre l’intérieur et l’extérieur », et de rénover « le pacte qui lie les centres-villes aux espaces fantômes qu’elles consomment et consument ». L’équation, délicate, exige de conjuguer le désormais classique « fin du monde et fin de mois », de réconcilier métropoles et périphéries, villes et villages, centres historiques et ronds-points. Une sacré gageure !

"L’écologie municipale peut, soit, consolider les inégalités sociales et spatiales, soit abolir la frontière entre l'intérieur et l'extérieur" (Pierre Charbonnier)

 UNE SCLÉROSE TERRITORIALE AUX RACINES INVISIBLES

Un quatrième frein au changement, peu médiatisé celui-là et pourtant sacrément puissant, se noue au cœur des administrations. « L’écologie ne fait toujours pas partie du logiciel de la haute administration, déploraient Jacques Archimbaud, François Langlois et Dominique Méda dans Le Monde le 11 septembre 2020. Jusqu’à très récemment, elle était perçue comme une menace ou comme une douce utopie, aujourd’hui elle peut être un supplément d’âme ou une figure imposée qu’il faut exécuter, sans conviction. ». 

Le poids des lobbies financiers et de secteurs industriels particuliers (agro-alimentaire, BTP, aéronautique, automobile…) explique, en partie, cette étrangeté à l’écologie de ces hauts fonctionnaires. On assiste même parfois à une consanguinité entre ces deux milieux, née de parcours professionnels croisés. Ce qui initie une cogestion préoccupante des politiques publiques dans divers secteurs avec ces porteurs d’intérêt privés. 

Une autre raison conduit à cette tenace imperméabilité à l’écologie de ces cadres de la République : elle est culturelle celle-là, liée aux enseignements initiaux et continus reçus. « Des profils de techniciens continuent à imposer une approche gestionnaire et budgétaire des dossiers. Leurs voix, notamment à Bercy, pèsent le plus dans les arbitrages interministériels », s’insurgent ces trois membres du comité d’orientation du Lierre, un réseau qui regroupe plusieurs centaines de hauts fonctionnaires, responsables et experts de l’action publique, de sensibilité écologiste. Sans compter que « croissance » et « austérité » demeurent chez eux les deux axiomes de base de leurs priorités, là où la sobriété et la solidarité devraient s’imposer. Enfin, le fonctionnement de l’Etat, trop cloisonné et annualisé, ne se prête guère à l’approche transversale et aux pas de temps de la transition écologique, par définition systémique. 

IMPERMÉABILITÉ ÉCOLOGIQUE ADMINISTRATIVE

Et ce qui est vrai au sommet de l’État – et handicapera, demain peut-être des changements écologiques nationaux – l’est aussi dans les administrations territoriales, notamment en régions, dans les départements et les métropoles. Ces corps de fonctionnaires sortent en partie des mêmes moules et évoluent parfois d’une administration à l’autre. Alors même qu’il existe, sacré paradoxe, des cloisons étanches entre les grands corps d’État et l’administration des collectivités, peu propices à la transformation écologique des territoires. 

Cette réalité sur les administrations est capitale pour comprendre le manque de planification écologique des politiques publiques, la trop faible place des garanties environnementales dans le code des marchés publics, et les lenteurs et difficultés à mettre en œuvre les impulsions données par divers élus, nationalement comme localement.

Loin de moi l’idée de vous inviter à une chasse aux sorcières contre ces fonctionnaires, rouages indispensables de l’action publique. Créer des espaces de concertation entre eux et les habitants des territoires ainsi qu’avec les usagers des services publics est toutefois une urgence. De même qu’un accompagnement aux défis et solutions écologiques s’impose pour tous ces agents, par des formations appropriés et des espaces collectifs de réflexion. Tout comme l’intégration par les administration des enjeux d’une démocratie collaborative afin de construire des politiques publiques adaptées aux besoins réels des populations et répondant aux défis des crises multiples.

©wikimedia

L'ÉPIDÉMIE PROVOQUE UN NOUVEL ÉLAN

Outre ce réseau Lierre de hauts fonctionnaires, précieux mais encore limité, durant le confinement une centaine d’agents territoriaux se sont regroupés, hors hiérarchie, sur la plateforme collaborative Riposte créative territoriale initiée par le Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT). Leur but ? « Co-construire, avec les collectivités territoriales, les réponses formatives innovantes pour faire face à ces défis complètement inédits [de cette pandémie], en mobilisant l'intelligence collective. » Cette véritable « communauté apprenante » échange sur ses expériences, sur « les trous dans la raquette des politiques locales » pour faire face à la Covid-19. Et se propose de penser l’après ensemble, d’une façon plus durable, écologique et inclusive. Actuellement, 122 acteurs sont déjà engagés dans l’un des 8 groupes de travail (Repérage d’initiatives, Ressources, Recherche, Collaborathon, etc.) de la plateforme et un groupe LinkedIn rassemble plus de 1 200 membres. L’aventure ne demande qu’à s’étendre.  

Des centaine d’agents territoriaux se sont regroupés sur la plateforme collaborative Riposte créative territoriale pour co-construire des réponses nouvelles

S’il y a de quoi se réjouir avec cette pandémie et ce confinement, c’est qu’ils ont réveillé de nombreux élans de générosité et de solidarité, concrets, au quotidien, à l’échelle des pâtés de maison, des immeubles, des villages et des entreprises. Des communautés qui se côtoyaient jusque là se sont soudain parlées. Elles se sont organisées pour aider les uns à boucler leur fin de mois, à approvisionner des personnes âgées ou isolées, à se déplacer durant l’arrêt des transports collectifs, à garder des enfants déscolarisés, etc.

CONSTRUISONS DES TERRITOIRES D'EXPÉRIMENTATIONS

Cette période difficile va se poursuivre, différemment. Elle nous a rappelée toute la puissance du geste d’entraide, de l’action collective. Parfois hors de toutes réponses des pouvoirs publics. Ne perdons pas cet enseignement et ce pouvoir du « faire ensemble » ! Face aux défis qui s’accumulent à l’horizon, ces alliances peuvent gagner en rayonnement et en efficacité. Et les nouveaux exécutifs écolos ou de gauche ont une belle carte à jouer : contribuer à animer ce dialogue, à redonner du pouvoir aux « administrés » et à se mettre à leur service. L’alliance suppose aussi de nouvelles solidarités et l’engagement des habitants aux côtés de leurs élus, pour réussir cette métamorphose des territoires. 

Osons le changement d’échelle dans ces nouvelles façons de travailler, d’habiter, de s’alimenter, de se déplacer, d’échanger, initiés durant le confinement. Mutualisons nos expériences et nos outils. Expérimentons localement la transition à l’échelle de nos bassins de vie (le quartier, le village, la commune, l’intercommunalité ou même les Pays), dans la durée, avec l’ensemble des acteurs du territoire. Plus seulement avec les collectifs militants et les élus, mais en s’adressant à l’ensemble des habitants, aux agents des administrations et aux professionnels. Construisons des fabriques locales du changement pour incarner et inventer, dans la pluralité, cette transition dont on nous rebat les oreilles. Sans attendre les décisions de Paris ou de Bruxelles. Pour mieux, en vérité, les faire émerger, les nourrir, les construire et les  appliquer. Dans le monde réel de notre quotidien. Chiche !

[1] Ce terme, inventé par l’ingénieur agronome Robert Levesque (Terre et humanité : la voie de l'Ecolocène, L'Harmattan, 2016), désigne l’ère de la réconciliation de l’humanité avec son milieu de vie (les espèces vivantes, l’eau, l’atmosphère, les roches…).

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