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Laurent Baheux : animaliste et portraitiste

Vous avez sans doute vu ses superbes photos en noir et blanc de la faune sauvage. Laurent Baheux nous raconte comment il est passé d'une carrière "hors-sol" de photographe sportif, à une vie au plus près de la nature et des animaux. Par ses photos, il témoigne d'un monde sauvage mis en péril par les activités humaines, et nous invite au respect de la vie sous toutes ses formes.


Comment décrirais-tu ta profession ?

Je suis photographe avant tout. Quant à savoir quel type de photographe... j'hésite encore entre animaliste et portraitiste ! Je ne suis en tout cas pas un photographe animalier au sens naturaliste. Je m'attache surtout à l'esthétique, et à l'individu.


Tu as commencé comme photographe sportif. Qu'est-ce qui t'a amené à l'animal ?

J'ai eu la chance de grandir à la campagne, entouré de nature. Je me suis donc très tôt senti proche des animaux, sauvages ou domestiques d’ailleurs. 

Mais c’est le sport qui était ma grande passion. J'ai donc dû m'exiler à Paris pour exercer le métier de photographe sportif. Là, je subissais mon lieu de vie, la foule des grands stades où on se réunit entre humains, enfermés, coupés du monde, de la nature, des animaux.

J'ai ressenti un fort besoin de me reconnecter à des choses essentielles pour moi. Je suis parti en Afrique comme pour une thérapie…  Ça a été le point de départ de mon changement de carrière.

Girafes courant dans la savane, Tanzanie 2002 (© Laurent Baheux)

Y a-t-il une rencontre qui t'a marqué lors de ce premier voyage ?

Le souvenir qui me vient c'est le premier animal à l'état sauvage que j'ai vu en Afrique. C'était une girafe. Ce n'était "qu'une girafe" - tu as pas mal l'occasion d'en rencontrer en Afrique... mais ça a été magique pour moi. Voir le plus grand animal sur Terre, libre, dans son milieu naturel. Je n'imaginais pas qu'on pouvait entrer sur le territoire des animaux comme ça et faire des rencontres aussi intenses.


Comment qualifierais tu ta relation avec l'animal ?

Je ne sais pas si on peut parler de relation. Mais il y a une rencontre, forcément. L'animal a accepté ta présence, choisi la distance. S'il n'en a pas envie, il peut s'éloigner, fuir, ou bien te charger pour te dire que tu n'es pas le bienvenu ! Il est chez lui, c'est lui qui décide de l'interaction, je suis sur son territoire. J'essaie de m'effacer le plus possible, d'entrer dans son intimité sans le perturber. Même si, parfois, il arrive qu'on se regarde les yeux dans les yeux. 

Avec les singes en particulier, c'est une rencontre extraordinaire. Tu ressens une telle proximité, face au regard d'un babouin, d'un gorille, ou d'un chimpanzé. Il s’approche parfois très près. Le mois dernier, en Ouganda, un gorille est venu jusqu'à toucher mon appareil photo !

Deux bébés babouins, Botswana 2009 © Laurent Baheux

Je cherche à montrer l'animal dans son intimité, mais paradoxalement je préfère plutôt rester à distance. Il existe aujourd'hui plein de techniques pour aller très près des animaux, comme des robots sur roulettes, des appareils qui se déclenchent au moment où le troupeau d'éléphants passe, des drones… Je trouve ça agressif, perturbant pour l'animal, ça me dérange un peu. Je préfère avoir l'œil dans le viseur et photographier ce que j'ai vu.


Tu te considères comme un témoin ?

Au départ, très égoïstement, j'ai fait ces photos pour me faire du bien ! Pendant 5 ans, j'ai gardé ces images pour moi, et j'ai continué à vivre de la photo de sport. Et ça suffisait à mon bonheur. Puis on m'a demandé d'exposer. J'ai alors vu le regard des gens sur mes images et sur cette vie sauvage. Je n'imaginais pas que je pouvais transmettre les émotions que j'avais ressenties si fortement.

Puis des ONG sont venues me demander des images. Pour des campagnes contre le braconnage, le trafic d'ivoire... elles voulaient changer d'axe de communication, montrer moins d'images "trash", et sensibiliser par le Beau. Montrer cette beauté intacte et dire "Attention ! Nos modes de vie mettent en danger ce bien infiniment précieux." Je me suis impliqué, je suis devenu militant... porte-parole de ces espèce sans voix en quelque sorte ! 

Lion dans le vent, Tanzanie 2007 © Laurent Baheux

Y a-t-il un message que tu voudrais délivrer aux petits colibris ?

Le message que j'essaie de faire passer, c'est de respecter le vivant. Cette planète est riche d'une vie exceptionnelle qu'on est en train de massacrer. C'est le constat que je fais après 15 ans de photographie en milieu sauvage, dans une cinquantaine de pays. Le comportement humain est un peu partout le même, là où le "progrès" s'installe. L'Afrique est en train de s'urbaniser à grande vitesse, de se couper de la nature. La plupart des Africains n'ont jamais vu un éléphant ou un lion à l'état sauvage. On ne prend pas le bon chemin.


Quelle est ta part de colibri, au quotidien ?

Je suis devenu végétarien et j'ai décidé de retourner vivre à la campagne, dans un petit village au fin fond de mon Poitou natal. Une vie presque à l'opposé de mon quotidien d’avant !

J'ai aussi changé ma façon d'éduquer mes enfants. Je les ai emmenés plusieurs fois en voyages. L'école buissonnière pendant trois mois ! Enfin pas vraiment : le matin les enfants partaient en safari avec moi, et l'après-midi, ma femme s'occupait des leçons : qu'est-ce qu'une girafe ? Combien il existe d'espèces de zèbre, de rhinocéros ? Où est le Kenya sur une carte ? Ils faisaient des sortes de carnets de route, qu'il partageait ensuite avec leurs copains en France.

Vache Parthenaise dans le pré, France 2018 © Laurent Baheux

Ici ou là-bas, on veut les rendre curieux de ce qu'il y a autour d'eux. Les différentes essences d'arbres, un chevreuil, un lièvre sur la route de l'école, les haies comme refuge pour la biodiversité... Ils prennent conscience qu'on n’est pas tout seul sur terre, et de notre juste place sur cette planète. Ce contact avec la vie sauvage devrait faire partie de l'éducation de tous les enfants !


Photo chapô : Chimpanzé dans un arbre, Ouganda 2018 © Laurent Baheux


Pour aller + loin

"Animalité, 12 clés pour comprendre la cause animale", d'Audrey Jougla et Laurent Baheux, éditions Atlande.

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