L’Agroforesterie en Amérique du Sud
Cet article a été initialement publié sur worldfoodorama.com
Nous sommes Kalima et Sylvain et depuis le 21 septembre 2018, nous voyageons à vélo couché. Pendant 2 ans, nous parcourrons les 5 continents, soit plus de 40 000km, pour aller à la rencontre des personnes qui innovent afin de trouver des solutions écologiques et durables pour nourrir notre planète. Cette aventure, que nous avons appelée Foodorama, est née d’une envie de découvrir le monde tout en nous engageant sur un thème qui compte beaucoup pour nous, l’alimentation.
L’agroforesterie une solution pour réhabiliter les sols épuisés ?
Déjà plusieurs semaines (mois ?) que nous n’avons pas écrit d’articles. Nous travaillions sur plusieurs sujets en parallèle dans différents pays (commerce équitable, agroforesterie, semences anciennes) et nous attendions de les terminer pour écrire les articles correspondants.
Nous vous avons laissé en Amérique Centrale, une partie éprouvante de notre voyage en raison de la chaleur et de nombreux épisodes de maladie. Après un petit break en bateau au milieu des îles San Blas – un véritable paradis – pour traverser du Panama en Colombie (impossible par voie terrestre), nous arrivons le 22 mai 2019 en Amérique du Sud, deuxième chapitre de notre traversée « des Amériques ».
C’est justement là, en Colombie, et plus précisément dans la ville coloniale de Popayan que nous rencontrons Anna, chargée de projet chez PUR Projet, qui nous fait découvrir l’agroforesterie. Elle va nous faire rencontrer pendant une semaine des producteurs convaincus par ces pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et s’inspirant de la culture autochtone.
L’agriculture conventionnelle laisse derrière elle des sols épuisés après des années de monoculture sous perfusion d’intrants chimiques. Tout comme l’agro-écologie, l’agroforesterie prend exemple sur la nature, en associant des cultures ou des élevages avec des arbres dans la parcelle. Elle apparait comme une alternative viable pour réhabiliter les sols.
Les bénéfices de l’agroforesterie sont nombreux. L’arbre a sa place dans nos cultures et permet de recréer de l’humus, de protéger les cultures du soleil direct, des maladies et d’enrichir les sols naturellement. Cette reforestation a aussi l’avantage d’offrir un habitat à de nombreuses espèces et ainsi de recréer de la biodiversité.
PUR Projet, une entreprise française, mène des actions de reforestation dans le monde entier, spécifiquement en Amérique Latine, où ses premiers projets ont vu le jour.
En Colombie, nous découvrons le projet « Coffee for Peace », un programme d’agroforesterie dans les parcelles de café, qui a deux objectifs majeurs : la reforestation des parcelles de café et faciliter le dialogue intercommunautaire suite aux accords de paix avec les FARC en 2016.
Nous rencontrons tout d’abord Nora qui témoigne de son histoire personnelle :
« Au début quand j’ai reçu ma parcelle il y a 16 ans, nous voulions planter du café, pour en vivre. Comme nous n’avions pas beaucoup de terre, nous avons coupé tous les arbres et fait beaucoup de dommages à la nature. La rouille (du café) a fini par exterminer toutes les cultures de café parce qu’elles étaient en plein soleil, sans protection.
A un moment donné je les (arbres) ai tous coupés et maintenant je le regrette…
De là, nous sommes passé d’une approche chimique à une approche biologique. La première chose à faire était de récupérer notre sol. Nous avons répandu du fumier mélangé à de l’eau pour le récupérer. Puis nous avons de nouveau planté des arbres… »
Grâce à l’appui de PUR Projet et à sa détermination, Nora reforeste aujourd’hui petit à petit toute sa plantation. Elle commence à profiter des bienfaits des arbres dans ses parcelles de café. La cerise de café ne brûle plus au soleil et elle n’a plus de problème de rouille. Elle a replanté des arbres natifs de la région ainsi que des arbres fruitiers qui lui apportent un complément pour son alimentation au quotidien.
Nous avons pu découvrir que toute sa ferme est désormais gérée de manière agro-écologique et autosuffisante (elle n’achète que de l’huile et du sel). Elle fabrique même son propre gaz pour cuisiner, à partir de la fermentation des déchets de canne à sucre et du café ainsi que des excréments de ses cochons.
Une belle source d’inspiration pour nous tous !
Nous visitons ensuite la ferme de Norverto, un leader de sa communauté autochtone et fervent défenseur des principes de l’agro-écologie.
Il nous reçoit dans sa forêt en bas de sa propriété :
« Nous sommes venus ici, parce que c’est ici que se trouve toutes les informations. Nous nous sommes venus un jour dans cette forêt et nous nous sommes demandé pourquoi est-ce si vert ? Pourquoi y a-t-il tant de plantes qui nous entourent ? Qui les cultive ? Si ici personne ne met d’engrais, ni d’herbicide, d’insecticide ou de fongicide que se passe-t-il ?
Ces espaces sont la source de l’enseignement de l’agriculteur. C’est pourquoi nous disons qu’une ferme qui n’a pas d’eau, pas d’arbres, pas de forêts est appelée à disparaître. »
Tout comme Nora, Norverto est en train de reforester toute sa propriété en commençant par la petite rivière qui coule en bas de son terrain, afin d’éviter son assèchement.
Dans cette petite forêt, il expérimente actuellement des variétés anciennes de café pour voir comment il pourra les cultiver par la suite, en intervenant au minimum. Selon lui, le caféier appartient à l’écosystème de la forêt et doit être cultivé en symbiose avec le couvert végétal environnant.
Il a d’ailleurs renommé de lui-même les « mauvaises » herbes, en « bonnes » herbes en découvrant leur rôle essentiel pour les sols et le café en protégeant les racines et les micro-organismes qui se trouvent dans la terre. Il possède ainsi sa propre « bio-fabrique » où il cultive des micro-organismes issus des sols de sa forêt, qu’il va ensuite répandre dans ses plantations de café.
Grâce à la présence d’arbres dans ses plantations de café, il constate qu’il n’a plus besoin de contrôler les maladies invasives, de faire des fumigations, d’arracher les « mauvaises » herbes et que la cerise de café est protégée du soleil direct. Au final, il se félicite d’avoir à travailler moins tout en récoltant un café de meilleure qualité.
L’agroforesterie apporte des solutions concrètes à ces producteurs de café et peut s’étendre à de nombreuses cultures comme le cacao par exemple.
Nous nous rendons donc au Pérou où PUR Projet accompagne les producteurs de cacao dans la reforestation de leurs parcelles. Le projet s’appelle « Jubilacion Segura » (retraite assurée) car dans ce pays la retraite n’existe pas pour les agriculteurs. Cette fois-ci les plantations d’arbres se font pour la plupart en périphérie du cacao car l’objectif principal est à terme d’en exploiter le bois. Les producteurs s’assurent ainsi une nouvelle source de revenus quand ils seront trop âgés pour travailler et pour leurs enfants.
Outre ces bénéfices, l’agroforesterie pourrait aussi faire partie d’une véritable solution au réchauffement climatique.
En effet, selon une étude du chercheur Thomas Crowther, en plantant 1000 milliards d’arbres supplémentaires, ces arbres pourraient alors capturer 205 gigatonnes de CO2 dans les prochaines décennies, cinq fois la quantité émise en 2018 dans le monde et les 2/3 de tout ce que l’homme a généré depuis la révolution industrielle. Une agriculture replaçant l’arbre dans ses pratiques pourrait permettre d’atteindre beaucoup plus facilement cet objectif d’autant plus si elle s’accompagne d’une protection et d’une gestion plus efficace des forêts existantes ainsi que d’une diminution de l’utilisation des énergies fossiles.
Notre enquête sur l’agroforesterie s’achève au Pérou dans la selva (forêt), et nous regagnons la sierra (montagne). Les routes bitumées se font rares et nous devons passer des cols à plus de 4000 m régulièrement.
Un challenge supplémentaire dans notre voyage… qui nous mènera à notre prochain sujet !
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