Rencontres de la revue 90°
Grand Lyon : la mutation alimentaire est lancée !
La revue 90°, sortie en librairie ce mois-ci, invite à s’engager dans une profonde « révolution alimentaire ». Et depuis le 7 avril, à Bordeaux, puis à Vaulx-en-Velin (Rhône), nous allons à la rencontre des acteurs des territoires qui s’engagent pour construire une réelle résilience alimentaire. Le 15 avril à Vaulx-en-Velin, au siège de La Nef, nous étions une cinquantaine de mangeuses et mangeurs, d’élus et militants associatifs, malgré les vacances et le Covid ! Nos échanges ont été passionnants. Inspirants même pour tous les territoires en France, où les enjeux sont souvent comparables. Voyez plutôt.
En quelques mots, Jérémy Camus, vice-président à la Métropole de Lyon, délégué à l’agriculture, à l’alimentation et à la résilience du territoire, pose le défi alimentaire de la collectivité et de ses habitants :
Le défi alimentaire du Grand Lyon en 6 chiffres
· 1,4 million d’habitants à nourrir, sur 53 400 hectares (534 km2).
· 5 % de ce qui est produit sur les 10 000 hectares encore cultivés – une surface assez rare pour une métropole française – alimentent les habitants du bassin, les 95 % restants sont exportés hors du territoire.
· Chaque jour, un hectare de terre est perdu, au niveau du département du Rhône, du fait de l'étalement urbain.
· En dix ans, le territoire a perdu plus d’une centaine d’agriculteurs sur les 360 qui étaient recensés, notamment de maraîchers. Et les fermes ne cessent de s’agrandir.
· Un tiers des ménages métropolitains déclaraient en 2019 ne pas avoir les moyens de s'alimenter correctement, et 15 % des Grands Lyonnais ne mangent pas à leur faim
Le constat est le même à Villeurbanne, où Morgane Guillas, conseillère municipale en charge de l’Agriculture urbaine et paysanne, de l’alimentation et l’approvisionnement local, souligne que sa commune « était encore il y a un siècle le cœur de l’approvisionnement en légumes d’un vaste territoire. Ce qui n’est plus le cas. L’agriculture et l’alimentation sont des impensés en matière de développement local ! ». Et le géographe Noé Guiraud, membre de l’association Les Greniers d’Abondance, de rappeler que « cet éloignement de la ville et de son alimentation, en particulier au niveau des légumes, s’effectue au tournant de la dernière guerre mondiale, avec l’industrialisation de l’agriculture et la métropolisation urbaine. Si l’on veut gagner en résilience alimentaire, il faut changer les deux modèles en même temps et en lien : celui de l’agriculture dominante actuelle et celui des métropoles. »
La Métropole fait la chasse aux terres nourricières
Face à ces constats peu réjouissants, les élus Verts de la Métropole, les militants associatifs mais aussi les professionnels de l’agriculture et de l’aménagement tentent de réagir de plusieurs manières. Non seulement la collectivité s’est dotée d’une véritable délégation à l’agriculture et à l’alimentation, mais elle a aussi multiplié par quatre son budget (soit 10 millions d’euros), en favorisant l’installation de jeunes agriculteurs à travers un espace de test agricole, à côté de Vaulx-en-Velin, afin de repeupler en maraîchage les 300 hectares des terres du Velin disponibles. Et, dans les prochaines semaines, 80 hectares initialement destinés à diverses opérations immobilières seront réaffectés pour des installations et des productions nourricières.
Le territoire métropolitain étendu à un rayon de 50 km pourrait permettre de couvrir 93% de la consommation alimentaire de ses habitants (©Grand Lyon)
Villeurbanne a également lancé un vaste inventaire du foncier public mais aussi privé (d’anciennes fermes et des friches), qui pourrait être mobilisé pour produire de l’alimentation. Une cuisine centrale dans cette ville de 153 000 habitants permet aussi de cuisiner et livrer chaque jour 8 000 à 9 000 repas pour les cantines locales, avec l’ambition d’atteindre, en 2026, 100 % de produits bio ou local (contre 20 % en 2020).
« Il faut restaurer le dialogue et la confiance entre territoires ruraux et métropole »
Enfin, un Projet alimentaire territorial (le PATLy), mis en œuvre depuis 2018, affiche aujourd’hui une grande ambition : celle de gagner en autonomie au niveau alimentaire, en passant de 5 % à 15 % d’ici à 2026. Pour y parvenir, tous les participants ont souligné la nécessité de construire des coopérations entre territoires sur un rayon d’au moins 150 km2 autour de Lyon. Des territoires aux attentes, aux natures (plus ou moins urbaines), aux traditions et aux couleurs politiques, très différentes, voire concurrentes. « Cela n’est pas simple, reconnait Jérémy Camus, car jusqu’à présent les territoires ruraux alentour redoutaient la Métropole, qui dévorait un peu toutes les terres agricoles et les ressources sur son passage. Il faut alors restaurer le dialogue et la confiance à travers une coopération équitable. C’est indispensable pour tous, en terme alimentaire, climatique et d’emplois. Et cela prend du temps. » « Et, dans la mesure où la question alimentaire ne rentre pas directement dans les compétences des collectivités locales, c’est un choix politique et budgétaires très volontariste car il empiète sur d’autres budgets… » argumente Morgane Guillas.
Manger doit revenir au cœur de notre vie
Si l’élan donné par les élus est essentiel, l’action des acteurs professionnels et des administrations locales en charge de l’agriculture, des circuits de distribution, de l’eau, des déchets, de la santé ou de l’aménagement du territoire, doit suivre. Ce qui suppose, pour devenir une politique cohérente et efficace, de sortir des interventions en silos. Pas gagné ! Et surtout, ce défi de la résilience alimentaire suppose de remettre l’alimentation au cœur de la vie des habitants, de leurs activités. En se formant et en s’impliquant à différents niveaux, selon ses moyens et ses capacités, dans le système alimentaire de son territoire : à travers des ateliers de cuisine et de transformation, dans des réseaux de vente directe, mais aussi en auto-produisant une partie de son alimentation. Sans l’illusion de pouvoir être autosuffisant au niveau alimentaire, surtout en ville. C’est le défi lancé, entre autres, par la coopérative Pistyles de Lyon, qui entend « œuvrer pour le retour de jardiniers et de jardinières de quartier ». Marc Pascal, son gérant, souligne l’intérêt de multiplier les espaces de cultures maraichères en cœur de ville, mais aussi des composts de proximité : « Cela ne permet pas de nourrir les habitants, mais avec l’implantation de quelques 150 composts chaque année dans les cités métropolitaines, nous réactivons dans la mémoire collective, par une pratique partagée, l’importance du cycle des matières organiques dans la ville. » Cet intérêt de « jardiner ensemble » passe donc par la multiplication des jardins partagés. « Non seulement, pour compléter l’alimentation du quotidien, mais aussi pour apprendre la qualité de nos aliments, leur saisonnalité, se reconnecter au vivant, au fait de produire des aliments, et bien sûr tisser des liens entre habitants » insiste l’élue de Villeurbanne, également fondatrice de l’association Graines Urbaines.
Les composts partagés permettent de « réactiv[er], dans la mémoire collective, l’importance du cycle des matières organiques dans la ville. » (©Jéromine Derigny)
La démocratie alimentaire, condition de la résilience
La condition pour réussir une implication effective des mangeuses et mangeurs dans le système nutritionnel est de construire localement une solide démocratie alimentaire avec tous les acteurs. Et la chance du Grand Lyon est de pouvoir compter sur un réseau dense d’acteurs associatifs et professionnels dans tous les domaines connectés à l’alimentation. « L’une des grandes ambitions du PATLy, assure Jérémy Camus, est d’identifier tous ces acteurs de terrain et de faire remonter leurs expériences, leurs réussites et leurs échecs, pour capitaliser à partir de leurs actions et essaimer celles qui font avancer cette démocratie et cette résilience alimentaire. Les collectivités sont là pour apporter des impulsions, de l’ingénierie, débloquer du foncier, pas pour faire à la place des habitants. » Et de citer l’opération Quartier Fertiles qui se déploiera dans huit territoires en difficulté de la métropole et a été dotée d’1,5 million d’euros. « Tous les habitantes et habitants seront consultés pour décliner ce PATLy selon leurs attentes et les réalités locales. »
« Pour construire un lien de confiance, le « faire » plutôt que les grands discours »
Une démarche que salue Boris Tavernier, délégué général de la fédération Vrac (Vers un réseaux d’achat en commun) France, rappelant que « toute la phase d’élaboration de ce PAT s’est faite, avant votre arrivée en responsabilité, à travers de nombreux ateliers, mais sans les habitants. Ça commence à bouger. Mais ça prend du temps pour embarquer les habitants. À Vrac, ça a toujours été notre ambition : nous avons arpenté durant des années les quartiers populaires, à la rencontre des habitants, des centres sociaux et des assos de terrain. Pour construire un lien de confiance, il faut passer par le « faire » plutôt que par les grands discours. C’est ce que nous avons réalisé à travers de nombreux ateliers de cuisines de rue, de menuiserie, de couture, de concours culinaires, etc. À partir de ces activités menées ensemble il était plus facile d’inciter les habitants à faire leurs courses collectivement, pour obtenir de meilleurs produits et de meilleurs prix. Et aussi pour leur faire comprendre que, dans nos ateliers, on n’avait rien à leur vendre et que sans leur implication ce projet d’achat collectif ne durerait pas. Et l’implication bénévole fonctionne seulement si les gens y trouve un intérêt direct. Mais aussi une vraie place dans la gouvernance des projets, s’ils sentent que leur voix compte. »
Concours de cuisine, organisé par l'association Vrac (DR)
C’est tout le sens de la Maison de l’alimentation que Vrac lance dans le 8ème arrondissement de Lyon, dans le cadre du projet des Quartiers Fertiles : « Non seulement, il y aura une épicerie Vrac à prix coûtants, ouvertes aux habitants du quartier, mais aussi un restaurant à petits prix (à des tarifs selon ses moyens et avec un plat principal à 4 €) et des ateliers où les habitants pourront venir cuisiner ensemble et repartir avec leurs gamelles à la maison. » Ce besoin de faire ses courses et cuisiner ensemble a également émergé, à Villeurbanne, des consultations lancées par les élues : « Cela nous a conduit à engager la construction d’une cuisine partagée, avec pleins de services et activités autour notamment de la diffusion de listes de producteurs locaux qui s’engagent sur une charte de qualité, ce qui permet d’effectuer des commandes groupées », souligne Morgane Guillas. Plusieurs autres exemples d’initiatives favorisant l’accès à une alimentation de qualité pour les plus précaires, élaborées par les bénéficiaires même de l’aide alimentaire, ont été rapportés au cours de la rencontre, comme celles des Escales Solidaires et de Belbouffe autour de repas partagés et de qualité à tout petits prix.
Le levier d’une Sécurité Sociale Alimentaire
Comment ces expériences socialement innovantes peuvent-elles essaimer et changer d’échelle ? C’est à cette question que les participants à la rencontre de Vaulx-en-Velin ont pris le temps de répondre. Avec un focus apporté sur une proposition défendue depuis dix ans par un ensemble d’acteurs associatifs et de recherche : la Sécurité Sociale Alimentaire (SSA). « Ce projet se base sur le principe de la Sécurité sociale actuelle dont tout le monde bénéficie sans distinction de revenu ni d’âge, présente Boris Tavernier de Vrac, qui a rejoint le collectif de structures en appui à la SSA en France. L’idée est de créditer votre compte, sur une carte de SSA, d'une somme donnée – on évoque souvent 150 € mensuel – que les bénéficiaires peuvent dépenser pour leur alimentation selon des modalités fixées par des Caisses de conventionnement locales de la SSA (types de produits et de circuits alimentaires fléchés). C’est donc le seul système qui agit à la fois sur l’accès à l’alimentation, la santé alimentaire, la transition écologique et les méthodes de production. »
La Sécurité sociale alimentaire est le seul système qui agit à la fois sur l’accès à l’alimentation, la santé alimentaire, la transition écologique et les méthodes de production. »
Si cette SSA serait, en partie, financée par des cotisations, dont le calcul et la répartition demeurent à préciser, elle coûterait environ 120 milliards d’euros par an. Un coût très élevé, à mettre toutefois en regard avec les bénéfices apportées pour la nutrition et la santé de la population, et donc les économies réalisées par l’épidémie de malbouffe qui coûte chaque année 50 milliards d’euros à la Sécurité Sociale…
Cette proposition engage un bouleversement radical de notre système alimentaire avec un coût d’investissement très élevé. Son expérimentation locale n’est dès lors pas aisé, notamment sur son financement, même si de plus en plus de territoires en France cherchent à le tester. C’est le cas, à Lyon, pour les étudiants qui pourraient obtenir une dotation financière pour s’alimenter en Gonette (la monnaie locale citoyenne). C'est aussi le cas à Villeurbanne, en lien avec le Centre communal d’action sociale.
Avec la SSA, les étudiants pourraient disposer d'aliments sains et accessibles. Ici, un groupement d’achats sur un campus lyonnais, par Vrac Universités (DR)
Le géographe Noé Guiraud, des Greniers d’Abondance, illustre aussi l’engagement de la ville drômoise de Dieulefit pour tester cette SSA. « À ce stade, elle s’applique à l’échelle d'un marché avec un système de cotisation volontaire qui repose sur un système de prix différenciés. Une soixantaine d’habitants peuvent librement choisir de payer 65 % ou 125 % du prix fixé par le producteur. De cette façon ceux qui choisissent un prix plus haut permettent à d'autres de payer moins. À la fin du marché, le déficit ou bénéfice est consigné dans une caisse alimentaire, et de marché en marché celle-ci doit s'équilibrer. Le montant dans la caisse est toujours affiché le jour du marché afin que chacun puisse suivre. Ce dispositif pourrait s’étendre à d’autres communes et marchés de l’intercommunalité dans le cadre du PAT. En outre, un rendez-vous citoyen a été instauré une fois par mois afin que où chacune et chacun puisse travailler sur les règles de cette SSA, son conventionnement, les types d’aliments favorisés, etc. »
Ces retours d’expériences et réflexions peuvent nourrir bien d’autres territoires et citoyens en prise aux mêmes défis alimentaires.
Pour aller + loin
- Feuilleter et acheter la revue 90°, avec un reportage sur les défis alimentaires dans le Grand Lyon
- Le site sur l’alimentation et l’agriculture de la Métropole de Lyon
- Le site de Vrac
- Le site des Greniers d’Abondance
- La plateforme des acteurs soutenant la Sécurité Sociale de l’Alimentation
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