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Le Festival Colibris, célébration de 15 ans d’actions et Nouvelle (R)

 

Du 6 au 8 mai dernier s’est tenu le Festival des 15 ans du Mouvement Colibris, un moment convivial, festif, et studieux autour de la campagne Nouvelle (R), et une belle occasion de se retrouver ! Ateliers, conférences, débats, musique, danse, théâtre... Retour sur trois journées mémorables.




Le coup d’envoi du festival est donné par les membres fraîchement élu·es du cercle de pilotage (équivalent du conseil d’administration). Arrivés la veille pour participer au cercle d’orientation (notre assemblée générale), ils montent sur scène avec les coordinatrices du mouvement pour souhaiter la bienvenue aux participantes et aux participants et introduire le festival. Célébration des 15 ans du mouvement Colibris, le festival constitue aussi et surtout un temps fort de la campagne Nouvelle (R) lancée en septembre dernier. Il vient clôturer une phase de consultation , au cours de laquelle plusieurs milliers de contributions ont été récoltées sur diverses thématiques (alimentation, énergie, démocratie, habitat, éducation et économie), et synthétisées dans un Carnet de campagne. Il ouvre également la deuxième phase : celle de l’élaboration de défis visant à transformer nos territoires pour les rendre plus justes, écologiques et démocratiques.

Miko, animateur en chef du brise-glace

Après cette introduction, place au brise-glace ! Véritable chasse au trésor à travers la grande tente, ce premier temps fait sensation parmi les festivaliers et les festivalières, qui se découvrent des points communs autour du festival, de leur parcours, de leurs aspirations...

Sobriété, décroissance... clarification sur les termes

La journée se poursuit avec une première grande conférence-forum au programme ambitieux : « Sobriété, autonomie, travail, démétropolisation... Quelles vie et société heureuses veut-on construire face aux crises ? » (lire l'article dédié ici). Les deux intervenant·es viennent battre en brèche certaines idées reçues. « Les vies alternatives sont caricaturées, folklorisées, comme l’a été celle de Pierre Rabhi. On nous fait croire qu’il y a un coût élevé à sortir du système — la répression à Sainte-Soline, les attaques sur le RSA et le chômage, etc. — alors que le prix à payer pour y rester est tellement plus élevé ! » dénonce ainsi Claire Desmares, élue Europe Écologie Les Verts et auteure en 2020 de L’exode urbain. Elie Wattelet, écopsychologue et co-auteur du livre Reliance, paru en avril 2023, alerte quant à lui sur la nécessité de se relier : « Le but du projet néolibéral c’est l’atomisation de la société ; on nous fait croire que la société n’est que la somme des individualités alors qu’on a besoin de commun ! ».

« On nous fait croire qu’il y a un coût élevé à sortir du système, alors que le prix à payer pour y rester est tellement plus élevé ! »
Claire Desmares, élue EELV

À trois reprises, les participantes et les participants, par tables de dix personnes, sont invité·es à réfléchir et échanger sur des questions telles que « comment rendre la sobriété désirable ? » ou « que faut-il modifier en priorité pour rendre les grandes villes plus vivables sur les plans écologique et social ? ». L’importance des récits est soulignée à plusieurs reprises. Contre l’hypermétropolisation par exemple, l’enjeu est de redonner envie de vivre dans les campagnes. « Ça fait des années qu’on nous dit, dans les campagnes, si tu veux réussir ta vie, casse-toi ! Aujourd’hui on veut pouvoir affirmer : si tu veux réussir ta vie, c’est ici que ça se passe ! » déclare l’élue bretonne, qui défend la « ruralité positive ». Il s’agit de « réorienter la puissance du désir » et d’écrire de nouveaux récits face à la « colonisation d’images, de films, de grands blockbusters [qui nous] aliènent », soutient quant à lui Elie Wattelet. Avec un point de vigilance tout de même : « qui va les écrire ces récits ? Colibris est assez homogène culturellement, sociologiquement. Il faut aller à la rencontre d’autres collectifs, d’autres profils, pour penser un projet ensemble », poursuit-il.

Conférence-débat avec Claire Desmares et Elie Wattelet, animée par Vincent Tardieu

Cette première journée se clôt dans une ambiance festive autour d’un buffet suivi d’une soirée à la carte : chorale jazz participative, initiation au swing ou découverte du film « Irréductibles » d’Olivier Dubuquoy. Deux salles, deux ambiances !

Place à l’action : l’élaboration de défis thématiques

Le lendemain, après un temps de mise en mouvement collectif, la matinée du dimanche est consacrée aux retours de la consultation et aux prochaines étapes de la campagne Nouvelle (R), notamment l’élaboration des défis. Réparti·es dans six ateliers correspondant aux six thématiques de la consultation, les participant·es réfléchissent par petits groupes à l’élaboration de pistes de défis à partir des propositions et idées tirées de la consultation. Créer une liste citoyenne pour les élections municipales de 2026, multiplier les espaces végétalisés nourriciers, soutenir des médias locaux indépendants, recréer une filière textile locale, généraliser l’éducation à la nature, développer la production locale d’énergie renouvelable ou encore créer des ateliers de réparation, autant de portes d’entrée vers une bascule systémique de nos territoires. Les cerveaux chauffent, le temps défile et les questions fusent : avec qui on travaille ? À quelle échelle ? Comment fait-on pour inclure tout le monde ? Avec quel accompagnement ?...

Les cerveaux fument en atelier, mais Valérie garde le sourire !

L’après-midi démarre par des ateliers au choix, d’une grande diversité : voyage en 2030 glorieuses, initiation à la désobéissance civile, outils de transition intérieure, atelier danse et émotions, rencontres littéraires, groupe de réflexion sur la sécurité sociale de l’alimentation... Il y en a pour tous les goûts !

Quel accompagnement des dynamiques de transition territoriale ?

La fin de cette deuxième après-midi est chargée ; deux tables-rondes s’enchaînent. La première, intitulée « Retour sur deux ans d’expérimentation dans les territoires locaux avec les élu·es et acteur·ices associatifs », pose la question de l’implication de tous les acteurs sur le territoire et de la méthode d’accompagnement. Trois approches sont présentées : le programme Territoires d’Expérimentations mené par le Mouvement Colibris et une dizaine de partenaires sur trois territoires depuis 2021 ; la démarche du MES (Mouvement pour l’Économie Solidaire), réseau qui rassemble les acteurs de l’économie sociale et solidaire ; et Fréquence Commune, coopérative qui accompagne élu·es et citoyen·nes pour réinventer la démocratie par le bas.

« Créer des listes participatives et citoyennes permet de retisser le lien avec les élu·es et de recréer de la confiance. C’est un processus d’apprentissage pour les élu·es comme pour les habitant·es »
Ombelyne Dagicour, élue Poitiers Collectif

À Poitiers, la mairie a été remportée par une liste citoyenne qui, accompagnée par Fréquence Commune, expérimente la formule du « travail associé » entre élu·es, agents, et citoyen·nes. Ombelyne Dagicour, nouvellement élue, témoigne : « créer des listes participatives et citoyennes permet de retisser le lien avec les élu·es et de recréer de la confiance. C’est un processus d’apprentissage pour les élu·es comme pour les habitant·es qui sont forcé·es de sortir de leur posture de doléances pour se mettre en responsabilité, dans une posture d’intérêt général ». En parlant d’intérêt général, Tristan Rechid, cofondateur de Fréquence Commune complète : « qui est en capacité de définir l’intérêt général ? Ce ne sont pas les élu·es tout·es seul·es qui, spontanément, après leur élection, deviennent capables d’un coup de définir l’intérêt général. Ce ne sont pas les expert·es tout·es seul·es non plus, ni les habitant·es uniquement. La formation de l’intérêt général vient de la prise en compte d’intérêts divergents, éclairés par une expertise, fruit d’un processus délibératif qui doit être animé par les élu·es ». D’où l’importance de créer des assemblées citoyennes multiacteurs. Mais ces assemblées doivent être décisionnaires, « on refuse de faire perdre du temps aux gens dans des assemblées stériles » assène Tristan Rechid, « les élu·es doivent jouer le jeu ». Cela demande aussi de modifier le cadre juridique, qui, aujourd’hui, ne permet pas de faire de la co-construction, ou seulement à la marge. À Poitiers, le préfet a retoqué la création de l’assemblée décisionnaire au motif qu’il est illégal pour les élu·es de se dessaisir de leur pouvoir décisionnaire. Face à la crise démocratique, mais aussi face à la montée de l’extrême-droite, Tristan Rechid lance donc un défi à l’assemblée : « créez des listes participatives, partout ! En 2026 je veux 35 000 listes participatives ! » Et d’ajouter : « Il va falloir créer des poches de résistance face à la vague brune qui arrive, et c’est à l’échelon communal que ça devra se faire ». Il a d’ailleurs déjà créé « Action commune », un réseau pour fédérer ces listes citoyennes.

Bruno Lasnier (MES) est avec Ombelyne Dagicour (Poitiers), Tristan Rechid (Fréquence Commune), et Virginie Boissière (Uzès), et Marie-Hélène Pillot (Mouvement Colibris)

Bruno Lasnier, délégué général du MES, insiste lui aussi sur la nécessité de construire des coopérations avec les différents acteurs, notamment économiques, qu’on a parfois du mal à mettre autour de la table, à travers des pôles territoriaux de coopération économique par exemple. L’enjeu est également de capitaliser et relier les initiatives existantes pour ne pas « réinventer la poudre ». C’est l’objectif de la recherche-action menée par le MES : favoriser les échanges de pratiques entre les membres du réseau et aboutir à une mallette pédagogique sur la conduite de la transition.

Un projet de justice sociale et environnementale

Après une pause rapide pour se dégourdir les jambes et faire la traditionnelle photo de groupe, la soirée se poursuit avec une table-ronde sur l’articulation entre justice sociale et transition écologique, indispensable pour faire face aux enjeux actuels. Laetitia Delahaies, coordinatrice stratégique du Mouvement Colibris, introduit le sujet : « Alors que tout le monde se revendique maintenant de l’écologie, d’un bord à l’autre de l’échiquier politique, il devient nécessaire de clarifier le projet d’écologie politique que nous portons. Si l’on entend de plus en plus parler de gaz à effet de serre, on en oublierait presque que notre ennemi n’est pas seulement le carbone mais bien un système prédateur, destructeur de toutes les formes de vie ». La diversité des profils parmi les trois intervenant·es – un militant associatif de l’éducation populaire, une déserteuse et militante de l’écologie intersectionnelle et un chercheur-poète-designer de la « banlieue du turfu » – fait apparaître des nuances.

« On se bat pour des conditions d’existence dignes »
Victoria Berni-André, militante de l’écologie intersectionnelle

Victoria Berni-André pointe, dans certains écolieux, « un humanisme, un universalisme, qui fait fi des rapports d’oppression », ce qui l’a conduite à se tourner vers les Zad et l’écologie intersectionnelle. Elle refuse cette « écologie environnementaliste » qui sépare l’humain de son environnement. « On se bat pour des conditions d’existence dignes et la dignité ne s'incarne pas que dans l'air qu'on respire mais aussi dans le respect de son orientation sexuelle, etc. » explique-t-elle avant d’ajouter « une société écologique mais raciste, ce n'est pas mon combat ! ».

Makan Fofana, Victoria Berni-André, Emmanuel Bodinier, et Laetitia Delahaies

Emmanuel Bodinier, cofondateur de l’association AequitaZ et auteur du blog la Marge humaine, préfère parler de « plusieurs rapports d’oppression croisés qui s’alimentent mais sont indépendants » plutôt que d’un seul et même système qu’il serait possible de renverser à l’occasion d’un « grand soir » fantasmé. « On est dans des systèmes autonomes mais souvent il y a une forme de pureté militante qui conduit à chercher l'intersection », complète-t-il, « or, il y a plein de gens qui font leur part, sur une cause, et la question c’est comment on arrive à les lier pour avancer vers un monde plus juste ? ». « L’intersectionnalité, on la comprend souvent comme le croisement de différentes oppressions mais au départ ce que souligne ce concept c’est que quand on ne prend en compte qu’une seule discrimination, ce sont les moins discriminé·es qui bénéficieront de notre combat (si on ne fait attention qu'au féminisme, ce sont les femmes racisées, des classes populaires qui vont être oubliées ; quand on parle environnement, ce sont les gens du voyage qu'on rejette, etc.) ».

« À des individus à qui on a vendu un mode de vie pendant des décennies, on demande tout à coup de ne plus porter des baskets Nike, de ne plus prendre l'avion pour aller en Afrique... et de faire un jardin partagé en bas de chez eux. C’est un peu violent ! » Makan Fofana, auteur de La banlieue du Turfu

Makan Fofana, qui se présente sous le titre de « ministre de la magie en charge de la banlieue du turfu » apporte un éclairage décalé. « Quand on parle justice sociale et transition écologique, on parle souvent fin du monde / fin du mois, moi je vais présenter une toute autre approche, celle du rêve », prévient-il. Il articule la problématique écologique dans les banlieues avec celle des imaginaires autour du concept de way of life [mode de vie en anglais]. « Moi, j'ai grandi avec la coupe du monde 1998, la publicité prônant l'ascension sociale et le rêve américain et je me retrouve dans un monde où on me dit il y a des limites planétaires ! » explique-t-il. « À des individus à qui on a vendu un mode de vie pendant des décennies, on demande tout à coup de ne plus porter des baskets Nike, de ne plus prendre l'avion pour aller en Afrique... et de faire un jardin partagé en bas de chez eux. C’est un peu violent ! ». Après l’American way of life, le rêve du XXIe siècle dans les banlieues c’est le Dubaï way of life des influenceurs et des influenceuses ; comment fait-on pour proposer de nouveaux imaginaires ? Ce que propose Makan Fofana, c’est de partir de la science-fiction. Dans ses ateliers, il aborde l’écologie « par des chemins détournés » : « je prends des objets du quotidien, clichés, comme le kebab, une nourriture du quotidien, et je leur demande d’inventer le kebab symbiotique, de voir comment l'adapter aux défis écologiques, avec un peu de légèreté, et d'humour ».

« Les retraites sont une manière d'influer sur les comportements ; à nous de choisir vers quels comportements on veut orienter ces infrastructures et de se donner les moyens de les faire advenir »
Emmanuel Bodinier, militant de l’éducation populaire

La table-ronde s’achève par des échanges avec la salle. Interrogé sur la question des imaginaires et des modèles de réussite, Emmanuel Bodinier alerte sur la « tendance idéaliste » des milieux écolos : « nos comportements dépendent des infrastructures plus que de nos opinions ; s’il n’y a pas de train, je vais venir en voiture ». Prenant un exemple d’actualité, celui des retraites, il explique : « Colbert a créé les retraites en 1634 pour développer les marines ; c’était dangereux à l'époque et donc on incitait les gens à s’enrôler en leur garantissant des avantages matériels. Les retraites sont une manière d'influer sur les comportements ; à nous de choisir vers quels comportements on veut orienter ces infrastructures – on pourrait développer des retraites pour les gens qui sont dans les Zad, par exemple – et de se donner les moyens de les faire advenir ».

La journée  se termine dans l’hilarité générale grâce à  la troupe des Éphémères et son théâtre d’improvisation.

Bilan du festival et prochaines étapes : vers une bascule des territoires !

Lundi matin, c’est déjà l’heure du bilan. Après une restitution du travail réalisé par les festivalier·es la veille dans les ateliers thématiques, l’équipe opérationnelle du mouvement vient présenter les prochaines étapes de la campagne : un « Tour de France des territoires qui basculent » mettra en avant les initiatives qui, un peu partout en France, engagent déjà des dynamiques inspirantes ; un Mooc « (R)évolutions locales » qui sera en ligne d’ici la fin de l’année viendra outiller toutes celles et ceux qui souhaitent transformer leurs territoires ; et un appel à manifestation d’intérêt sera lancé pour accompagner des collectifs qui veulent se lancer dans la bascule des territoires avec le Mouvement Colibris et ses partenaires. Plein de projets qui ouvrent de belles perspectives à construire ensemble !

Manon livre son ressenti, après nous avoir fait "danser nos émotions" la veille

En attendant, c’est déjà la fin de ce festival et il est temps de laisser la parole à celles et ceux sans qui tout ça n’aurait pas eu lieu : les festivaliers et festivalières ! Les mots de « gratitude », « joie », « reliance », reviennent à plusieurs reprises. Les participant·es « repartent nourri·es » de toutes les rencontres et les échanges tissés au cours du festival. Si certain·es se sentaient parfois « illégitimes », ils repartent « empuissancé·es », « reboosté·es » et plus que jamais « motivé·es » pour continuer ensemble !

Pour aller plus loin

- Plus de photos ici !

- « Sobriété, autonomie, travail, démétropolisation... quelle société heureuse veut-on construire face aux crises ? », synthèse de la conférence d'ouverture du Festival Colibris

- Le site de la campagne Nouvelle (R).

- Le Carnet de campagne Nouvelle (R), bilan de la consultation et lancement des défis de territoires.

- La chaîne Youtube de Victoria Berni-André, Au Pays des Alternatives.

- Le blog d’Emmanuel Bodinier, La Marge Humaine.

- L'Exode urbain, de Claire Desmares, Éditions Terre Vivante, 2020.

- La Banlieue du Turfu, Makan Fofana, Tana Éditions, 2021.

- « Innovation sociale et citoyenne au service du développement économique vers la transition écologique et solidaire », recherche-action du MES.

- Pour une écologie pirate, de Fatima Ouassak, Éditions La Découverte, 2023.

- « Réussir une transition écologique juste », étude du Labo de l’ESS.

- Reliance, Manuel de transition intérieure, de Michel Maxime Egger, Tylie Grosjean, Elie Wattelet, Éditions Actes Sud-Colibris, 2023.


Crédits photos : Merci à Marc Dufournet, bénévole, pour son temps et son talent ! Licence : Creative Commons BY-SA.

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