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Coopérez-moi ! #2

Et vous, Transiscope, coopérez-vous ?


Parce que l’âpreté des crises écologiques et sociales met à rude épreuve les énergies des organisations citoyennes, nous avons besoin de dépasser nos postures idéologiques et nos habitudes, de grandir ensemble et de mettre en commun nos forces, nos moyens et nos talents. Colibris le Mag entame une série d’entretiens avec différents réseaux associatifs ou professionnels. Avec une question centrale : comment vous y prenez-vous pour mieux coopérer ?


Ils sont tous les deux investis dans le réseau Transiscope, qui a été créé en 2016 à l’initiative d’Alternatiba et de sept autres associations (Assemblée Virtuelle,  Cap ou pas cap, le CRID, le Collectif des Associations Citoyennes,  Utopia, le Warn) et qui regroupe actuellement treize structures, dont Colibris. Audrey Auriault, du groupe d’accompagnement et de recherche coopératif en économie sociale et solidaire (GARC.ESS), est à la fois formatrice et animatrice de projets coopératifs comme Animacoop. À Transiscope, elle co-anime le comité de pilotage. Quant à Simon Louvet, à l’initiative de Transiscope, il est animateur et activiste au sein des associations Assemblée Virtuelle et Alternatiba. Au sein de Transiscope, il apporte à la fois de l’expertise technique et un savoir-faire sur la gouvernance.



– Transiscope, ça part d'où ? Et avec quelle intention ?

Simon Louvet : Victor Vauquois d’Alternatiba et moi nous voulions réaliser une cartographie des initiatives pour la transition qui existaient sur Paris, afin de les rendre visibles, de mettre en lien le public des structures et des projets existants, voire de pouvoir en évaluer l’intérêt. Seulement, nous n’étions pas les seuls à développer des projets de cartographies analogues, à des échelles de territoires différentes : Cap ou Pas Cap, Colibris avec la carte Près de Chez Nous, Utopie-Concrètes et Basta mag existaient déjà. On s’est dit alors qu’il fallait nous regrouper, ou du moins nous coordonner et mettre en commun les données de chacun. C’est comme ça que le collectif de Transiscope a démarré, à deux ou trois structures. Notre intention n’était pas que l’on produise tous la même chose mais plutôt que l’on coordonne et additionne nos diversités pour créer un bien commun, que l’on puisse faire des passerelles entre ces projets et ces cartes pour offrir plus de richesse pour les citoyens. 

Audrey Auriault : Transiscope est né à un moment où effectivement les développements cartographiques étaient très à la mode. Chacun regrettait un peu cette dispersion, mais pensait que c’était à l’autre d’adopter son outil et de venir contribuer sur sa propre carte… Cette approche ne pouvait pas aboutir. Il a fallu donc repenser les intentions de la coopération entre les porteurs de ces projets.

Valentin( CRID), Jean-Baptiste (CAC), Audrey (Garc.ess), Guillaume (Assemblée Virtuelle) er Cedric ( Resiway) lors d'un Comité de pilotage en décembre 2018 à la Maison des association, Paris 12e (Crédit photo : Edouard Marchal)

– Coopérer entre structures qui ne se connaissent pas toujours, on imagine que ça prend beaucoup de temps... Est-ce le cas  ? Et est-ce que ça vaut le coup à l’arrivée ?

S. L. : La première condition pour que ce temps et cette énergie soient engagés par une structure, c’est que celle-ci voit un intérêt à coopérer avec d’autres. Sinon, ce temps va vite devenir insupportable pour elle.  Il fallait donc démontrer aux organisations  que la coopération avait déjà fait ses preuves, et qu'elles pouvaient y trouver un intérêt !

Ainsi, chaque structure intégrant le comité de pilotage de Transiscope s’engage à apporter soit du temps, soit de l’argent, soit un service précis. Cette procédure a été formalisée par écrit et acceptée par tous.

"Se former aux outils communs, et apprendre à partager de l’information efficacement. Cela fait gagner du temps à tous !"

A. A. : Notre règlement engage, en outre, toutes les structures à participer au comité de pilotage, qui a lieu une par mois, en présentiel ou à distance. J’ajouterai à ce qu’a dit Simon d'autres clés pour bien coopérer : se former à la gouvernance partagée et aux outils communs, et apprendre à partager de l’information efficacement. Cela fait gagner du temps à tous ! 

Après, nous n’avons pas toujours formalisé ce que chacun vient chercher, apprendre ou apporter… Mais je constate que les représentants des structures investies dans Transiscope n’ont pas beaucoup changé depuis le début, ce qui est un signe qu’elles doivent trouver un intérêt à continuer à vivre ce processus coopératif ! Concrètement, je pense que les composantes du réseau trouvent comme intérêt à la fois de pouvoir partager de la veille d’informations, des techniques sur la cartographie qui constitue le cœur de Transiscope, du transfert de compétences entre les membres, mais aussi un intérêt sur le processus de coopération lui-même, utile au bon développement de chaque structure.

Simon (Alternatiba) en pleine conversation technique, lors de la soirée de présentation Transiscope, à la Maison des Acteurs du Paris durable, en mars 2019 (Crédit Photo : Nathan)

– Avez-vous identifié un problème clé lié à la vie du collectif, et apporté des réponses par rapport à celui-ci ?

A. A. : Ce qui m’a frappé lorsqu’on est venu me chercher pour travailler à l’animation du CoPil [Comité de Pilotage, ndlr], c’était que beaucoup de ressources produites par les différentes instances et composantes de Transiscope n’étaient pas faciles à trouver, et du coup mal partagées… Je me suis alors efforcée de mettre dans la "gare centrale" de Transiscope, un site wiki commun, une série d’informations accessibles à tous, et notamment aux nouveaux arrivants : les comptes-rendus de nos différentes réunions, les élaborations de groupes de travail, notre système d’organisation, notre charte, etc.

S. L. : De mon côté, je relèverais deux difficultés rencontrées. D’abord la mise en œuvre d’une véritable gouvernance collégiale. Ce travail a pris un an et demi entre les différentes structures, car personne n’avait beaucoup de temps à y consacrer. Cette gouvernance s’est formalisée avec les têtes de réseau lors du Festival MMM-Fest (Millemont Makers Festival) : nous avons décidé de constituer une sorte de constituante collégiale et de recourir à une personne pour animer la gouvernance du réseau d’une façon suffisamment horizontale pour qu’il n’y ait pas de leadership d’une organisation. 

Le deuxième problème que je pointerais fut un problème d’égo. Le mien, en réalité… Je maîtrisais déjà certains outils techniques, et j’ai eu du mal à coopérer avec Sebastian de la carte Près de Chez Nous initiée par Colibris. Il m’a fallu faire tout un travail personnel pour lâcher certaines postures et attentes, et prendre ce que cette coopération pouvait m’apporter.

"Les difficultés rencontrées : la mise en œuvre de la gouvernance collégiale, et les problèmes d'égo !"

A. A. : Oui, c’est vrai, il y a eu un nœud et un enjeu très fort entre vous ! Et l’évolution de ce binôme a été assez extraordinaire, avec un beau cheminement entre deux personnalités fortes et très différentes – Simon, c’est l’entêté qui ne lâche jamais, sans lequel ce projet de Transiscope n’existerait pas ; et sans la douceur de Sebastian et sa capacité à emmener Simon dans des endroits où il n’irait pas spontanément, Transiscope n’en serait pas là non plus ! Souvent dans les projets de cette nature, on rencontre ce genre de problèmes car il y a un développeur qui s’accroche à sa façon de faire. Il faut alors trouver les voies et les méthodes pour dépasser ces obstacles d’égo et en faire un apport mutuel.

Sebastian, développeur de la carte Près de chez nous

– Construire cette culture et cette gouvernance communes exige une forte impulsion et une réelle animation. Sans ce rôle d'animation, l’aventure de Transiscope pourrait-elle continuer ?

A. A. : J'ai une réponse qui s’appuie sur mes expériences de formatrice et d’animatrice : c’est clairement non. La coopération entre structures ne peut pas durer et s’épanouir sans cette fonction d’animation. Après, celle-ci peut se réaliser très différemment. D’abord, elle n’est pas nécessairement incarnée par une seule personne. Elle peut être plus collective. Elle peut tourner aussi. Et il n’y a pas forcément besoin d’un poste de travail pour assumer cette fonction indispensable. Si, au début, cette fonction a eu besoin d’être assumée par quelqu'un d’extérieur à Transiscope, aujourd’hui il y a suffisamment de coopération entre les membres pour qu’une co-animation existe spontanément, durant les réunions, sur les ordres du jour, les prises de note, par exemple. Après trois ans de construction, c’est devenu très fluide à ce niveau.

"La coopération entre structures ne peut pas durer et s’épanouir sans une fonction d’animation."

S. L. : C’est vrai, mais je crois que sur des coopérations, notamment entre beaucoup d’acteurs, il est nécessaire que cette animation soit formalisée et assumée par un tiers facilitant neutre, et donc quelqu’un d'extérieur aux structures composant le réseau. Je m’explique : il est quasiment impossible que la facilitation du réseau soit prise en charge par un membre d’une des structures, en étant à la fois basse et neutre, c’est-à-dire continuellement au service du collectif, en écoute de tous, des émotions de chacun et chacune, en veillant à ce que ce soit le collectif qui élabore ses objectifs, et sans conduire le collectif selon sa propre vision et ses ressentis.

A. A. : Tout à fait. Pour moi, c’est la différence d’être en attention plutôt qu’en intention… C’est indispensable que le facilitateur soit en attention, à l’écoute du collectif et de chacun. Le projet est alors vraiment que le groupe fonctionne bien ensemble, et donc de procéder par étapes vers un objectif qui n’est pas défini par avance et se construit pas à pas ensemble.

Soirée de présentation Transiscope, à la Maison des Acteurs du Paris durable, en mars 2019 (Crédit Photo : Nathan)

– Il y a-t-il une réussite en terme d’actions ou de fonctionnement qui mérite d'être partagée ?

A. A. : Pour moi, c’est d’avoir à la fois avancé dans la structuration du collectif mais en assumant de ne pas nous mettre trop la pression. C’est aussi d’avoir réussi notre « décentralisation » : il y a treize organisations, avec chacune une personnalité très forte et des enjeux qui leur sont propres, et en même temps existe un objet collectif… sans centre. C’est pas mal !

S. L. : Oui, c’est le principe de l’archipel : une collection d’îles reliées entre elles par leurs habitants, et qui sont autour d’un centre vide, un lagon. Enfin, vide… Parfois, dans ce centre, on peut vouloir y mettre des valeurs communes. À Transiscope, ces valeurs sont la décentralisation et le non accaparement des données, en licences libres. Si ces valeurs, souvent inscrites dans une charte, clarifie ce que l’on partage et donne confiance à chacun, il ne faut pas, à mon avis, les multiplier au risque d’exclure ou de compliquer le fonctionnement collectif. En plus de ce centre vide, pour réussir à coopérer j’ajouterais qu’il faut développer une inclusion par cooptation. D’autres procédures sont possibles, avec des niveaux d’autonomie et d’autogestion plus importantes, mais cette pratique fonctionne bien. Elle s’est traduite chez nous par aller chercher d’autres structures dont les missions et la gouvernance constituaient un apport, et étaient en cohérence avec le réseau.


Pour aller + loin :

- le site de Transiscope : https://transiscope.org

- "Et vous, Collectif pour une Transition Citoyenne, coopérez-vous ?", 1er volet de la série "Coopérez-moi !"

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