3 questions à Alexandre Dereims, auteur du film "Nous sommes l’Humanité"
Auteur-réalisateur du film-documentaire “Nous sommes l’Humanité”, actuellement en salle, Alexandre Dereims présente une tranche de vie d’un groupe de Jarawas, un peuple qui (sur)vit sur l’archipel indienne d’Andaman. Sans commentaire, il y recueille leurs paroles et filme leurs gestes du quotidien. Bouleversant ! En plus, ce film nous fait réfléchir à notre propre humanité.
– Comment as-tu pu te faire accepter des Jarawas, et pourquoi témoignent-ils aujourd’hui, alors qu’ils font preuve d’une hostilité constante et ancienne envers les étrangers qui empiètent sur leurs terres, leur apportent des maladies et chassent leur gibier ?
Les Jarawas ont compris que leur survie et leur existence sont en péril, du fait en autres que les cochons sauvages qui constituent la base de leur alimentation, ont quasiment disparus à cause des braconniers. Ces derniers entrent en effet sur leur territoire avec la complicité des gardes forestiers. La situation est dramatique, des femmes Jarawas ont été enlevées et violées, des enfants sont morts à cause de mauvaises prescriptions médicales.
Lorsque j’ai appris, par la presse locale, que des Jarawas étaient sortis et avaient tenté d’alerter la police locale en bordure de leur territoire, j’ai compris que, pour la première fois et alors qu’ils avaient depuis toujours affiché une hostilité sans faille au monde extérieur, ils voulaient parler de leur situation. C’est le point de départ du documentaire. Nos guides sur place connaissent bien les Jarawas et ils sont allés en amont de notre visite pour leur proposer de leur donner la parole, parole déniée par le gouvernement indien.
– Quel est le sens du titre « Nous sommes l’Humanité » que tu as donné à ce film ?
Les Jarawas sont l’Humanité, dans le sens où ils sont nos racines. C’est le plus ancien peuple du monde (en dehors de l’Afrique) et surtout, ils n‘ont pas encore été « contaminés » par celui-ci. Certes, ils ont commencé à porter des habits, ils se servent de plats en métal et ils possèdent des lampes torches - donnés par les gardes forestiers ou les braconniers. Mais les Jarawas refusent le tabac et l’alcool que leur donnent les gardes forestiers, censés les protéger.
Leur mode de vie n'a pas changé depuis plus de 50 000 ans. Ce qui fait que ce film est le témoignage fidèle de ce que fut la vie des êtres humains aux origines de l’homme. Ils sont l’Humanité, en ce sens qu’ils portent en eux des valeurs humaines indispensables à la survie de notre espèce, comme la solidarité, le respect envers la Nature, l’égalité entre les sexes, valeurs qui nous font cruellement défaut aujourd’hui. Les Jarawas nous tendent un miroir, à 50 000 ans d’écart, à nous autres qui sommes en train de détruire notre planète, pour nous dire qu’il est urgent de vivre en harmonie.
– Tout au long du film, le spectateur est écartelé entre deux sentiments puissants : l’admiration et l’émotion devant le bonheur de ce « peuple premier » à vivre et à s’aimer simplement dans cette nature généreuse, et le désespoir (pour ne pas dire la honte) d’assister à leur disparition annoncée déjà depuis quelques décennies – ils ne sont plus que quelques 400. Quels sentiments prédominent en toi après cette rencontre et ce tournage ?
Je suis allé à leur rencontre sans a priori, sans idée préconçue. Le film n’est que l’exacte image de ce que mon équipe et moi-même avons vu, avons vécu durant nos séjours parmi eux. Ce qui m’a le plus frappé, c’est bien sûr leur bonheur et leur liberté, mais aussi cette capacité de s’organiser sans chef, un monde intelligent où chacun fait sa part et contribue à la survie et au bonheur du clan.
Les Jarawas m‘ont redonné de l’espoir, de la foi en l’espèce humaine. Le fait qu’ils n’aient pas de croyances m’a également bouleversé. Le modèle que l’on nous donne à travers la religion, sur les origines de l’homme, est celui d’un humain pécheur, condamné à la naissance, sans espoir de rédemption, sans l’aide de la croyance. « Nous sommes tous bons » comme le dit Onia. Nous n’étions pas non plus des « sauvages primitifs », comme ceux dépeints dans la « Guerre du Feu », ou de « bons sauvages » naïfs comme nous l’a raconté Rousseau. Et moins encore des animaux doués de raison où la loi du plus fort prévaut. Comme les Jarawas, nous étions tous des êtres sensibles et magnifiques, intelligents et bienveillants.
"Les Jarawas m‘ont redonné de l’espoir, de la foi en l’espèce humaine. Le fait qu’ils n’aient pas de croyances m’a également bouleversé."
Certains d’entre nous cherchent à retrouver ces valeurs et à les exprimer dans un monde qui nous empêche d’être heureux et d’exercer notre bonté. À ceux-là, j’ai envie de dire : “Écoutez ce que les Jarawas ont à dire au reste de l’humanité actuelle !”.
Je continue de me battre pour alerter sur les Jarawas et pour faire pression sur le gouvernement indien afin qu’il les protège enfin. Nous avons lancé une pétition en ligne qui a atteint 250 000 signatures. Et cela sans passer par les sites de pétitions qui font commerce de nos données personnelles. Nous avons signé, avec Claire Beilvert, la productrice du film, la Déclaration Universelle des Droits de l’Humanité en présence de Corinne Lepage. Nous avons le soutien d’Amnesty International, de la Ligue des Droits de l’Homme, de Pierre Rabhi et de tous ceux qui veulent bâtir un monde plus humain et nous en sommes très fiers.
Enfin, nous travaillons avec des universitaires et des militants sur place, en Inde, aux Andamans, pour faire bouger les mentalités. Je garde espoir, même si j’ai appris cette semaine que les Indiens avaient finalement ouvert des écoles pour les enfants Jarawas pour leur apprendre à compter et à lire en hindi. Quelle hypocrisie ! J’ai vu des photos des petits que j’avais filmés libres et heureux, désormais habillés en uniforme d’écoliers, leurs regards tristes et perdus… Cela me fait mal, mais cela ne fait que renforcer ma détermination à les sauver de notre bêtise criminelle. Je ne les abandonnerai jamais.
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